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Le pouvoir des images


Par Juliette Le Taillandier de Gabory

« Une image vaut mille mots ». On prête cette citation à Confucius qui nous dit combien l’image peut être efficace et l’emporte sur tout argumentaire construit avec des mots. En effet, saisie immédiatement par le cerveau humain, l’image porte en elle-même comme une évidence.

Le soupçon des images

Dès l’Antiquité, les philosophes ont réfléchi à la force des images et l’ont souvent combattue, dévalorisant ainsi toute forme d’art qui cherche à représenter le monde en images. Au premier chef, Platon. Pour lui, le monde visible n’est qu’une réplique grossière et illusoire du monde des idées, c’est-à-dire de la seule et unique vérité. Par conséquent, la représentation ou image des choses issues du monde visible se trouve éloignée de deux crans de la vérité et est donc forcément méprisable. Il y a finalement pour le philosophe trois niveaux ontologiques : l’idée de la chaise par exemple, l’objet chaise et l’image de la chaise. Platon reprend cette idée à travers la fameuse allégorie de la caverne. Il compare les hommes à des prisonniers privés de la lumière du jour, prenant les ombres sur la paroi pour la réalité des choses. Ils sont, au sens propre, prisonniers des images visibles et ainsi coupés de tout accès possible à la vérité. La force des images ne fait ainsi aucun doute et cela dès le IVe siècle avant J.-C. (cf. fiche « Photographie et notion de point de vue »).

L’image photographique à l’épreuve du réel

L’invention de la photographie en 1839 transforme totalement notre rapport à l’image qui accède alors à un rang quasi-scientifique de preuve du réel, de témoignage de la réalité passée ou présente. C’est le cas, par exemple, de la photo d’archives utilisée par les historiens pour documenter leur travail d’enquête sur le passé.

Si l’image a le pouvoir de témoigner de la réalité du monde, elle a aussi la capacité de l’ajuster, la corriger voire la raccommoder, à travers sa représentation et donc la mémoire que nous en conservons. Comme c’est le cas dans le travail d’Agnès Geoffray. Partant de photographies d’archives, considérées non pas comme des images figées et closes sur elles-mêmes mais plutôt comme de la matière première vivante, l’artiste transforme certains clichés relatant des événements historiques douloureux pour en atténuer la violence.

Dans sa série Incidental Gesture, le diptyque Libération I et II représente une femme tondue à la Libération, déshabillée et livrée à la foule sans doute pour avoir eu des relations avec l’occupant allemand pendant la guerre. L’artiste retravaille la photographie en rhabillant cette femme, lui rendant ainsi sa dignité et la réhabilitant rétrospectivement. Dans cette œuvre, Agnès Geoffray s’intéresse à un fait historique tragique, pour le mettre en perspective et ainsi repenser nos mémoires douloureuses ainsi que leurs représentations.

Elle propose une délicate réécriture de l’histoire pour faire acte de réparation. L’artiste se présente comme une « iconographe » qui « sonde, élabore et réactive les images » qui font partie de notre mémoire commune (voir le dossier pédagogique (PDF, 1629 ko) réalisé sur le travail d’Agnès Geoffray par le FRAC Auvergne). Autre exemple : l’œuvre intitulée Laura Nelson, toujours dans la série Incidental Gestures, représente cette femme noire, pendue le 25 mai 1911 à un pont sur l’Oklahoma, aux États-Unis. L’artiste transforme la photographie d’archive en effaçant la corde et la victime semble comme flotter dans les airs.

Si l’artiste retouche des photographies, c’est pour porter attention aux représentations victimaires, loin de toute idée de manipulation malveillante, comme c’est le cas d’une fake news. En revanche, Agnès Geoffray dit bien s’inspirer de la pratique des régimes totalitaires de retoucher les images, la photographie agissant comme instrument du pouvoir. La première violence est l’exaction représentée, la seconde est de figer pour l’éternité un individu dans un statut de victime, par le biais de la photographie. « Toute cette falsification de l’histoire en vue de la propagande, comment la photo retouchée était un médium de l’État. » La propagande fait partie d’ailleurs de la typologie des fake news (cf. « Fake news, infox, de quoi parle-t-on ? »).

Images, vidéos et fake news

Dans la société d’hypermédiatisation que l’on connaît aujourd’hui, l’image a pris une nouvelle ampleur. Nous avons des capacités infinies d’en produire de nouvelles et de les diffuser massivement. La réalité est connue d’abord et avant tout par les images qui en existent : nous vivons de plus en plus dans un monde virtuel où les images tiennent lieu de réalité.

Or une image est un espace potentiel de construction, de trucage, de détournement. Le vrai et le faux peuvent s’y entremêler, notamment grâce aux outils numériques de plus en plus sophistiqués qui permettent à tout un chacun de retravailler les images. Elles peuvent donc tromper, manipuler et emporter alors l’adhésion du public. Les fausses informations circulent ainsi à travers des milliers de photos ou vidéos montées de toutes pièces.

Alain Josseau, dans son œuvre G255, nous montre les coulisses de la fabrication d’une fausse image vidéo, telle qu’il en existe sur les réseaux sociaux. Il crée la maquette d’une ville détruite par la guerre qu’il filme avec la caméra de son téléphone portable. En ménageant dans son dispositif un arrière-plan vert (ce vert G255 utilisé au cinéma, à la télévision ou sur internet pour incruster des images), il nous montre que cette scène pourra ensuite être intégrée à n’importe quel fond. Cette scène de guerre pourra donc s’être déroulée dans n’importe quelle ville, dans n’importe quel pays, en fonction de ce que souhaite lui faire dire l’auteur. Une vidéo de téléphone portable qui peut sembler être un témoin brut de la réalité peut aussi la détourner et la recomposer totalement.

Alain Josseau nous alerte ainsi sur la signification des images qui nous entourent et qui se substituent bien souvent à la réalité. L’image est d’abord et avant tout un espace hybride où réalité et mensonge s’entremêlent constamment.

L’image artificielle et la création de nouveaux mondes

L’image truquée, retravaillée peut servir comme support aux fake news qui circulent sur internet. Elle peut aussi devenir un objet artistique en tant que telle. Totalement artificielle, sans rapport aucun avec la réalité, elle fait apparaître de nouveaux mondes, des paysages imaginaires, comme c’est le cas de l’œuvre de Joan Fontcuberta. Dans la série Orogenesis, l’artiste part d’œuvres très célèbres de l’histoire de l’art et les réinterprète à l’aide d’un logiciel d’images de synthèse conçu pour des utilisations scientifiques et militaires. Il génère ainsi de nouvelles images qui représentent des paysages spectaculaires et idéaux. Inspirés de l’imaginaire romantique, ces paysages rappellent aussi l’industrie touristique et les produits que peuvent nous vendre les agences de voyage. Par ce stratagème, Joan Fontcuberta questionne notre perception des images qui seraient censées refléter la réalité.

Ressource en +

Un exemple de détournement d’image : fiche « Un pique-nique de migrants dans un cimetière à Calais ? » (PDF, 2072 ko) issue du dossier pédagogique de la Semaine de la presse et des médias à l’École 2017 du CLEMI (page 16).