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Les coûts de la désinformation


Par Karen Prévost-Sorbe

« Le faux va plus vite, plus loin que le vrai. » Cette affirmation est la conclusion d’un trio de chercheurs (Sinan Aral, Deb Roy et Soroush Vosoughi) du MIT Media Lab, après un long travail d’enquête sur un corpus de 126 000 histoires qui se sont répandues sur Twitter entre 2004 et 2017 aux États-Unis. Ces histoires ont été retweetées par 3 millions de personnes au moins 4,5 millions de fois.

L’étude, publiée dans la revue ScienceThe Spread of True and False News Online », Sciences, vol. 359, 9 mars 2018, p. 1146-1151), met en évidence que « les fausses nouvelles sont diffusées plus vite, plus loin, et plus largement que les vraies. Les “cascades” de retweets font intervenir plus de personnes, elles entraînent plus de retweets, et sont plus “virales”. Celles qui sont le plus diffusées concernent la politique […] suivent ensuite “les légendes urbaines”, celles sur les affaires économiques, puis la science, le divertissement et enfin les désastres naturels » (S. Huet, « Sur Twitter, le faux plus fort que le vrai », Sciences² (blog), Le Monde, 8 mars 2018). Ce travail d’enquête réalisé avec Twitter montre certes que les plateformes participent à la diffusion des fausses informations, mais il met également en lumière les coûts de la désinformation pour notre société.

La diffusion du faux a un coût démocratique

Cela peut coûter très cher. Selon une étude publiée en 2019 par la société israélienne de cybersécurité CHEQ et l’université de Baltimore, les fausses informations coûtent plus de 78 milliards de dollars par an à l’économie mondiale.

Les conséquences ne s’arrêtent pas là. La santé est également impactée. Récemment, des chercheurs de l’université d’East Anglia, au Royaume-Uni, ont montré que les fausses informations sur la Covid-19 tendaient à circuler plus rapidement que les vraies et à aggraver l’épidémie, en générant des comportements à risques. Dans un discours prononcé le 27 mars 2020, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres a montré son inquiétude face à ce phénomène : « Notre ennemi commun est la Covid-19, mais notre ennemi est aussi une “infodémie” de désinformation. » Il a appelé à « promouvoir de toute urgence les faits et la science, l’espoir et la solidarité au détriment du désespoir et de la division » (« COVID-19 : le système de l’ONU en alerte contre l’“infodémie” et la cybercriminalité », ONU, 2 avril 2020).

La désinformation peut également exacerber des divisions socioculturelles en jouant sur les tensions ethniques, raciales, religieuses et nationalistes. On peut citer l’exemple donné en 2017 par la chercheuse américaine Samantha Stanley (et repris dans un article du site québécois Agence Science-Presse en septembre 2020). Une émeute a été causée par une foule de 500 personnes au Myanmar (Birmanie) à la suite de la publication sur Facebook d’une rumeur selon laquelle le propriétaire musulman d’une boutique de thé aurait violé une employée bouddhiste. Deux personnes ont été tuées lors ce désastreux événement. La désinformation peut mener à des actions violentes.

Récemment, les images de militants pro-Trump envahissant le Capitole, le 6 janvier 2021, ont choqué le monde entier. Cet événement sidérant peut être considéré comme l’épilogue « de centaines de faits alternatifs répétés et retweetés des milliers et des millions de fois [qui] ont fini par fabriquer une réalité alternative ». Une vérité alternative qui s’est forgée et imposée durant quatre années à coups de fake news, relayées par les supporters de Donald Trump (et le président lui-même) via internet et les réseaux sociaux. La croyance est devenue plus forte que la vérité. Les conséquences sont dramatiques : cinq morts dans l’attaque du Capitole, et un pays meurtri par ses divisions. La démocratie américaine est mise à mal (voir, par exemple, sur ce sujet l’article de E. Viennot, « Un Capitole et deux Amériques, une démocratie et deux réalités », Libération, 17 janvier 2021).

Le dessin de presse, réalisé par Côté, scénariste et dessinateur québécois, est très intéressant pour la classe. Daté de 2017, il délivre un message en lien avec l’actualité récente. Les fake news peuvent devenir de véritables « outils de propagande » au service d’une idéologie, d’un mouvement nébuleux et conspirationniste à l’image de QAnon aux États-Unis. « Ce qui s’est passé au Capitole était hautement prévisible. On le voyait notamment venir sur les réseaux sociaux alternatifs comme Gab et Parler, où sont repliés les adeptes du mouvement QAnon depuis que Facebook et YouTube les ont bannis », affirme le politologue David Morin, cotitulaire de la chaire de l’Unesco en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent. Les militants pro-Trump qui ont participé à cette insurrection constituent une masse qui se radicalise progressivement, alimentée par des fake news. Le mouvement complotiste pro-Trump n’est plus une créature du web. Il a basculé dans le réel avec un acte violent.

Comme le souligne Divina Frau-Meigs, dans une interview pour Le Monde datée du 8 mars 2018, « l’effet le plus grave de la diffusion massive du faux, c’est de répandre un doute généralisé sur l’information, les institutions démocratiques, les savoirs scientifiques… Si tout est faux, la science aussi, on en voit le résultat avec les débats sur la vaccination ou le climat. Ne plus pouvoir faire confiance à une information vraie génère une atmosphère malsaine, susceptible de miner tout projet démocratique qui suppose une confiance ».

Entrées possibles dans les programmes du lycée

En seconde, première et terminale : sciences économiques et sociales.

En seconde et première : sciences de la vie et de la Terre.

En première : enseignement de spécialité « histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques ».

En terminale :
– enseignement scientifique ;
– programme optionnel de droit et grands enjeux du monde contemporain.

Classes préparant au certificat d’aptitude professionnelle :
– enseignement moral et civique – premier objet d’étude « Devenir citoyen, de l’École à la société », second thème « La protection des libertés : défense et sécurité » ;
– français – objet d’étude « S’informer, informer, communiquer ».

Classe de seconde professionnelle : français – objet d’étude « S’informer, informer : les circuits de l’information ».

Le débat pour aborder les fake news en classe

La discussion à visée démocratique et philosophique peut être un dispositif intéressant pour aborder le sujet des fausses informations en classe. Elle permet aux élèves de se questionner, de débattre, de se confronter aux autres et de construire une argumentation. On est là dans un véritable exercice d’apprentissage de la citoyenneté.

L’environnement, notamment la question du réchauffement climatique, est l’un des sujets qui suscitent le plus de fausses informations sur internet et les réseaux sociaux. Les élèves pourraient, par exemple, débattre autour de la question suivante : « Les fake news peuvent-elles influencer le débat sur le climat ? »

La construction des savoirs

Ce travail va conduire les élèves à mener préalablement un travail de recherche info-documentaire sur les fausses informations qui circulent sur l’environnement et à les trier (catégories, impacts, intentions), complété si besoin par l’enseignant. Cette activité pourrait conclure une séquence pédagogique sur la désinformation, notamment en sciences. Cela permet de mobiliser les connaissances acquises sur ce sujet par les élèves en mobilisant leur esprit critique, leur capacité à démontrer et à argumenter à l’oral.

La conduite de la discussion

Durée : 45-60 minutes pour explorer, confronter et structurer des idées.
Organisation : la parole est régie par des règles démocratiques. Les élèves se mettent en cercle.
Répartition des rôles :

  • trois co-animateurs sont choisis, à savoir un président, un reformulateur et un synthétiseur. Un observateur est également nommé. Les autres élèves sont les « discutants » ;
  • l’enseignant est l’animateur du débat sur le fond (met en place le dispositif, veille au bon déroulement du dispositif et anime la phase métacognitive après la discussion) ;
  • l’élève président répartit la parole selon des règles. Il ne participe pas à la discussion ;
  • l’élève reformulateur, à la demande de l’enseignant, redit ce qui vient d’être dit par un camarade. Il ne participe pas à la discussion ;
  • l’élève synthétiseur, reformulateur à moyen terme, écoute et essaye de comprendre, note ce qu’il a compris, et renvoie au groupe, lorsque le président le lui demande, ce qu’il a retenu à partir de ses notes. Il ne participe pas à la discussion, car il a déjà un travail complexe à faire ;
  • l’élève observateur a pour fonction de prélever des informations précises pour faire prendre conscience de ce qui se passe. Ces observations d’ordre divers servent ensuite à l’analyse du débat sur sa forme comme sur le fond.

Synthèse finale : une courte synthèse peut être rédigée pour garder une trace de la discussion.

Ressources complémentaires pour l’enseignant

M. Tozzi, « La discussion à visée démocratique et philosophique (DVDP) : finalité, enjeux, pratiques », Diotime, n° 74, octobre 2017.
O. Falhun, « Fake news & climat : le débat », On crée le déclic, 26 janvier 2020.
Ressource Éduscol sur le « débat réglé » (PDF, 266 ko), septembre 2015.
Ressource Réseau Canopé sur le « débat mouvant » (PDF, 66 ko), issue de Esprit critique, Futuroscope, Réseau Canopé, 2019.