CLEMI

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Approche culturelle du faux


Par Isabelle Martin

La question des fake news constitue une réalité prégnante dans notre société du début du XXIe siècle. Pour autant, il est important de faire comprendre aux élèves que les notions de vérification, de croisement des sources sont anciennes et que les questions du vrai, du faux, de l’expérimentation scientifique comme méthode de vérification, de la promotion de l’esprit critique traversent les époques et les genres culturels.

Littérature et dénonciation du faux à la fin du XVIIe siècle

Le texte « La dent d’or » (cf. « Les fake news en 10 dates clés »), tiré de l’Histoire des oracles de Bernard Le Bovier de Fontenelle, publié fin XVIIe, est, à ce titre, précurseur de ce que sera la philosophie des Lumières au XVIIIe siècle. Le texte (court) se présente comme un récit amusant à visée argumentative : « En 1593, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie, âgé de sept ans, il lui en était venu une d’or, à la place d’une de ses grosses dents. » L’auteur, qui est aussi un scientifique, se moque des pseudo-savants qui n’utilisent pas les méthodes expérimentales pour vérifier le phénomène et qui ne s’intéressent pas aux causes de celui-ci par manque de rigueur, échafaudant au contraire des théories farfelues ou mystiques.

Il critique aussi ceux qui se satisfont de compiler les (faux) travaux des autres. La conclusion est particulièrement savoureuse et tout à fait d’actualité : « Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison. Cela veut dire que non seulement nous n’avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d’autres qui s’accommodent très bien avec le faux. »
En d’autres termes, nous accordons parfois plus de confiance à des phénomènes qui ne sont pas avérés parce qu’ils confortent nos opinions et nos croyances (c’est ce qu’on appelle des « biais cognitifs », c’est-à-dire des tendances de notre esprit à des erreurs de raisonnement et de pensée, de manière inconsciente) qu’à des phénomènes existants dont nous ne savons pas expliquer les causes. Dans un épisode consacré à « La dent d’or », la chaîne YouTube Hygiène mentale rend la compréhension du récit un peu plus facile grâce à des illustrations.

La critique des scientifiques que présente Fontenelle peut être mise en parallèle avec la façon dont les approximations voire les fake news relatives à la Covid-19 ont pu se propager. Les intervenants présentés comme « experts » dans le domaine de la santé qui ont envahi les plateaux TV et les antennes des médias d’information ne nous ont pas toujours permis d’y voir très clair, tant les débats y ont parfois été contradictoires (voir la fiche « Covid-19 : évaluer la fiabilité des discours scientifiques sur YouTube » issue du dossier pédagogique de la Semaine de la presse et des médias à l’École 2020-2021 du CLEMI, page 21).

Images animées

Outre la littérature, le cinéma aussi traite de ce qui n’est qu’illusion/apparence, et se fonde sur la fiction, c’est-à-dire l’évocation de quelque chose qui n’est pas. Si le cinéma est par définition un genre fictionnel, le documentaire possède des frontières assez floues entre réel et fiction. Il rend compte du réel mais utilise les techniques, voire les codes de la fiction.

Sur le sujet des fake news et du complotisme, l’excellent « vrai-faux documentaire » Opération Lune de William Karel peut être étudié (disponible en VOD sur Arte. Voir aussi le dossier pédagogique et le débat auquel William Karel a participé). Réalisé en 2002, il accrédite la thèse selon laquelle la mission Apollo 11 – qui a permis en 1962 le premier pas de l’homme (et des Américains !) sur la Lune – serait une immense supercherie. Pour cela, il mêle vidéos et archives comportant des témoignages de personnalités réelles auxquelles il ajoute les interventions de comédiens qui jouent le rôle de témoins.

L’objectif premier était de faire un film drôle. William Karel joue sur la polysémie des images et « déstabilise notre rapport à l’image » comme a pu le faire avant lui Chris Marker dans Lettres de Sibérie, documentaire épistolaire de 62 minutes, filmé en 1957 aux confins de l’URSS (Russie). À partir d’un même montage vidéo, trois angles différents sont proposés à travers le discours de la voix off, prouvant par là même que le réel et sa représentation ne sont définitivement pas exempts de distorsions possibles.