Par Samuel Baluret
Interroger notre relation aux images et à l’information en créant d’autres images. Inviter à la réflexion en établissant une connivence avec le lecteur, c’est le fil conducteur des quatre dessins de presse évoqués ici et présentés dans l’exposition. D’une apparente simplicité, leur composition convoque pourtant un savoir-faire et des procédés intellectuels et graphiques complexes, spécifiques à cet art.
Si ces quatre dessins s’inscrivent en effet dans la tradition satirique, ironique ou dérangeante du dessin de presse, ils ont pour autre point commun d’interpeller le lecteur sur sa relation à l’information et à son propre rôle dans la diffusion des fake news, facilitée par l’usage d’internet et des réseaux sociaux.
Dessin de Bonil (caricaturiste équatorien)

On découvre un personnage de fiction bien connu, Pinocchio, assis derrière un écran d’ordinateur. Ses doigts s’agitent sur le clavier, alors qu’il est littéralement manipulé par un autre personnage dont on ne perçoit pas l’identité. Quelqu’un, en effet, « tire les ficelles » de la marionnette de bois, qui semble rédiger des messages sur un réseau social.
Le dessinateur reprend les codes qui permettent d’identifier immédiatement le personnage principal de l’image. Reconnaissable aux vêtements qu’il porte dans le dessin animé des studios Disney (1940), Pinocchio est aussi surtout connu pour une particularité : son nez s’allonge un peu plus à chacun de ses mensonges.
L’auteur s’approprie donc à la fois des codes et conventions graphiques, tout en faisant appel à notre mémoire collective, pour nous permettre d’aboutir à plusieurs conclusions : Pinocchio répand des mensonges sur internet, sans même qu’il ait conscience d’être manipulé par une main anonyme. Or, nous utilisons quasiment tous les réseaux sociaux au quotidien. Bonil interroge donc ici notre propre relation aux réseaux sociaux et aux informations que chacun diffuse par leur biais.
Dessin d’André-Philippe Côté (caricaturiste québécois)

Une main tenant un journal intitulé Fake News allume la mèche surmontant littéralement le crâne du personnage central. Ce dernier, mine patibulaire et écume aux lèvres, porte un t-shirt marqué du logotype de « La Meute », un groupe d’action identitaire d’extrême-droite.
Le dessinateur utilise les codes vestimentaires comme autant d’indices permettant d’identifier les personnages : ceux du militant (le t-shirt noir logotypé, le jean noir) et ceux du commanditaire (manchette de chemise et manche de veste). Le dessinateur les associe à deux éléments textuels (le titre du journal et le nom du groupuscule) pour assigner une origine à l’action et une identité au protagoniste central.
L’artiste a, en outre, recours à un autre procédé pour ridiculiser le militant : la caricature. Le personnage est représenté telle une brute épaisse et menaçante s’apprêtant à laisser exprimer sa violence à l’encontre d’éventuels contradicteurs, son crâne étant réduit à une mèche fumante d’explosif. La fake news est ainsi associée au déclencheur d’un mécanisme de passage à l’acte violent chez ses lecteurs.
Dessin d’Izabela Kowalska-Wieczorek (illustratrice polonaise)

Un enfant manipule une tablette numérique et découvre que se cache, sous une première image d’apparente bienveillance, une seconde image où apparaît un personnage à l’allure beaucoup plus sombre.
La dessinatrice emploie exclusivement les attributs traditionnellement associés aux figures du Bien et du Mal, pour permettre au lecteur de les identifier : l’auréole et les ailes permettent de reconnaître un ange, alors que les sabots et la queue fourchue sont réservés à la figure démoniaque. Le contraste entre les deux images est accentué par le choix des couleurs, qui répond aussi à la conception habituelle du Paradis et de l’Enfer : le bleu céleste et le blanc, d’une part, la silhouette noire qui se détache d’un fond rouge orangé, d’autre part. L’enfant, à l’expression dubitative ou inquiète, se trouve dans une semi-obscurité, la lumière de l’écran étant la seule source de luminosité de l’image.
La dessinatrice questionne donc à la fois la dualité, l’ambivalence des images trouvées sur internet et leur intentionnalité parfois trompeuse, et souligne également la vulnérabilité des enfants seuls face à une source unique mais attrayante d’information.
Elle emploie aussi une forme de mise en abyme : nous sommes face à une image qui contient d’autres images, poussant ainsi le lecteur à s’interroger sur sa propre relation aux images et informations qu’il rencontre sur internet.
Dessin de Marie Morelle (dessinatrice de presse française)

Un homme, face à son ordinateur, découvre qu’un poisson d’avril a été épinglé à l’arrière de son écran.
Traditionnellement, le 1er avril est la journée durant laquelle on réserve des surprises à ses amis ou ses connaissances, sous forme de canulars destinés à les tromper et à provoquer l’hilarité. L’imposture, a priori inoffensive, peut toutefois prendre un tour plus grave dès lors qu’elle est propagée par internet, sans vérification de son origine.
L’attention du lecteur est d’abord focalisée sur la légende. L’artiste emploie des majuscules, dans une graisse supérieure au reste du texte en minuscule, pour attirer l’attention sur la première ligne de la légende, inscrivant ainsi l’image dans un contexte précis. Seul point de couleur vive de la composition, le poisson orange complète la légende : il assimile l’écran de l’ordinateur et, par extension, les contenus qui s’y affichent à d’éventuels canulars.
L’artiste manie ainsi l’ironie pour interroger le lecteur sur sa propre crédulité face aux informations et aux rumeurs en tous genres. En effet, alors même qu’un flot d’informations arrive de façon incessante sur nos écrans, nous ne prenons pas toujours les précautions nécessaires pour en vérifier la véracité, sauf lors d’une journée où nous nous attendons paradoxalement déjà à être trompés.
Réaliser des dessins de presse en classe (cycle 4)
Cette activité propose aux élèves de s’approprier les codes du dessin de presse et d’en saisir les enjeux en tant qu’objet de création artistique mais aussi de communication, par la production d’œuvres individuelles ou collaboratives.
Compétences travaillées
Expérimenter, produire, créer (C1).
Mettre en œuvre un projet (C2).
S’exprimer, analyser sa pratique, celle de ses pairs ; établir une relation avec celle des artistes, s’ouvrir à l’altérité (C3).
Socle commun :
- domaine 2 – Les méthodes et outils pour apprendre ;
- domaine 3 – La formation de la personne et du citoyen.
Étapes
- Après un temps d’échange autour des quatre dessins de presse de l’exposition, les élèves identifient, en groupe, un fait d’actualité ou une thématique qui invite à l’expression d’une opinion, d’un point de vue ou d’un sentiment.
- Lors d’une séance de recherches au CDI, les élèves approfondissent le sujet retenu et en tirent les informations nécessaires à la réalisation de leur dessin de presse.
- Deux séances sont consacrées à la réalisation : inviter à produire plusieurs essais à partir du même thème et favoriser l’utilisation de procédés propres au dessin de presse (caricature, mise en abyme, ironie, etc.).
- Restitution des travaux lors d’une dernière séance dédiée, permettant aux élèves d’afficher leurs productions et de les présenter à l’oral. Le message qu’ils ont tenté de véhiculer a-t-il été saisi par leurs camarades ? Les réactions suscitées sont-elles celles attendues ?
Ressources en +
Le kit #Jedessine de Réseau Canopé.
Le dossier de l’académie de Nantes « Le dessin de presse : une image pour informer ou provoquer ? ».
Le dossier du CLEMI « Dessin de presse et liberté d’expression ».
Le dossier pédagogique (PDF, 11917 ko) de Cartooning for Peace.