Nous sommes en 1983, Stéphane Charbonnier, dit Charb, dessine déjà avec talent dans L’Echo des collégiens, le journal du collège Les Louvrais à Pontoise (95). Dans le n°2 de l’année scolaire 1982-1983, Charb évoque avec mordant le thème de l’avortement: une ménagère en tablier qui ne supporte plus son fils de 35 ans attrape une hache et massacre l’importun. Soulagée de s’être débarrassée du fils parasite, elle s’adresse au lecteur l’air ravi : “Qui est-ce qui a dit que ça faisait mal l’IVG? J’ai rien senti moi!”
Si Charb se saisit de la question de l’IVG pour faire un dessin humoristique, le sujet reste délicat dans la plupart des journaux scolaires.
La loi sur la dépénalisation de l’IVG est promulguée en 1975 après des débats houleux. 25h de débat suivent le discours mémorable que prononce Simone Veil, ministre de la Santé dans le premier gouvernement de Jacques Chirac, le 26 novembre 1974 à l’Assemblée nationale. Le projet de loi est finalement adopté par 284 voix « pour » et 189 « contre » grâce au soutien de l’opposition de gauche. Que disent les médias scolaires sur l’avortement dans les années qui suivent cette modification majeure du droit des femmes? Plus largement, quelles sont les attentes des jeunes sur l’éducation à la sexualité ?
«Les garçons ont de la chance!»
“Nous préférerions être des garçons!” Voilà le souhait alarmant qui ouvre l’article écrit par Elise, Marie-Pierre et Régine, élèves de 4e5 au CES de Chauvigny (Vienne, 86), dans un article intitulé «Les garçons ont de la chance!» du journal Les Canards sauvages, en 1975. Si l’accroche est terriblement efficace, elle révèle surtout les inégalités subies par ces jeunes filles. En effet, quand elles écrivent cet article, bien que la loi Veil ait été promulguée la même année, ce sont bien elles qui ont la lourde charge d’assumer les conséquences de leur “vie sentimentale” comme elles l’expriment pudiquement. Dans ce journal écrit à la main et ronéotypé, ces trois élèves disent les injustices qu’elles vivent chaque jour: “Nous trouvons que les garçons ont plus de liberté que les filles”; “Les parents laissent sortir un garçon plus facilement qu’une fille”; “Un garçon a beaucoup moins d’ennuis qu’une fille. Une fille qui a des rapports sexuels risque d’avoir un enfant, à moins d’employer la contraception. Mais certains parents s’opposent à ce système”. Face à de tels constats, l’article se clôt sur une conclusion bien amère: “tous les ennuis retombent toujours sur la fille”.
L’année suivante, un fait divers étonnant agite les médias: le conseil des parents d’élèves de la fédération Armand Lagarde publie un communiqué en janvier 1976 qui affirme qu’un certain nombre de jeunes filles du lycée de Marmande (Lot-et-Garonne, 47) a recouru à l’avortement. Si ces allégations sont rapidement démenties par les élèves, enseignants et représentants de l'administration au cours d'une conférence de presse, cet événement a le mérite de poser la question de l’éducation à la sexualité. Dans, Terminal, un journal national de lycéens, en février 1976, un court article souligne que «ce qui est scandaleux, c’est moins le nombre d’avortements qu’il y a eu dans ce lycée du Lot-et-Garonne que le manque d’information qui oblige certaines élèves à recourir à de tels procédés». Un reportage de plus de 5 minutes est diffusé au 20h de TF1 et le constat est le même. Le journaliste Roger Gicquel déclare suite au reportage : “Il y a un formidable problème d’information sur les problèmes sexuels, sur la contraception par exemple et qui n’est presque pas abordé et qui met une distance incroyable entre les jeunes, l’évolution des moeurs et même la loi qui veut suivre cette évolution d’un côté et puis de l’autre les parents désarmés”.
«Cette lutte n’est pas terminée»
Toujours en 1976, le journal Catapulte, réalisé dans le cadre du FSE du lycée Langevin-Wallon de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne, 94), publie un article intitulé “L’Histoire des femmes”. Après avoir évoqué rapidement quelques moments essentiels comme la lutte des suffragettes, la création du MLF (Mouvement de libération des femmes) et du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception), la jeune journaliste évoque la loi de 1975: “Pour toutes ces femmes, la lutte sur l’avortement et la contraception leur a permis de prendre conscience de la possibilité de disposer de leurs corps”. Mais elle souligne aussi les difficultés que les femmes rencontrent pour bénéficier de cette nouvelle loi: “ Mais cette lutte n’est pas terminée car ces lois sont très peu appliquées et ne sont accessibles qu’à celles qui en ont les moyens (400 F dans un hôpital sans anesthésie) (2000F dans une clinique pour un curetage avec anesthésie)” (NDLR: Le smic brut mensuel est d’environ 1400F en 1976).

Les mêmes obstacles sont signalés dans le journal Claf’Outil en 1980 (Metz, 57) : “Les femmes ont su lutter pour acquérir ce droit élémentaire qu’est l’avortement. [...] Il faut savoir qu’à cause du prix et de l'obstacle que représentent les médecins et la démarche à suivre (information, test de grossesse, visites chez le médecin, etc…) beaucoup de femmes sont encore obligées de recourir à l’avortement clandestin”. Au-delà de la critique et de la contestation, le journal annonce que les lycéens prennent en charge eux-mêmes l’éducation à la sexualité: “Au Club Information une discussion et un travail sur l’avortement et la contraception s’est engagé. Tu peux y participer. Le Club fonctionne tous les jeudis de 12h30 à 13h20 au foyer”.
Depuis 2001, l’article L312-16 du Code de l’éducation indique: “Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogène”. Si ces séances sont très souvent assurées par les professeurs de SVT ou les infirmiers scolaires, il est possible de joindre Education aux Médias et à l’Information et Éducation à la sexualité. Le scénario 3 du jeu Classe Investigation permet aux élèves de faire la chronique judiciaire du “procès de Bobigny” : en 1972, une jeune fille mineure, Marie-Claire Chevalier, avorte, aidée de sa mère et de trois femmes. Le procès de Marie-Claire, qui se tient à huis-clos, se conclut par la relaxe de la jeune fille. Le scénario 3 de Classe Investigation fait vivre aux élèves le procès de la mère, défendue par Gisèle Halimi, et de ses trois complices. Faire revivre ce procès aux élèves, faire entendre les propos des protagonistes, c’est aussi permettre aux élèves de comprendre l’histoire des droits des femmes. Travailler sur ce procès, c’est l’occasion idéale de prendre le temps nécessaire de parler avec les élèves contraception, avortement et d’être à l’écoute de leurs questionnements.
Recherche documentaire: Christelle Loigerot, professeure des écoles
Rédaction: Maud Moussy, professeure de lettres et formatrice CLEMI