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Prune Robin et Enya Serpaggi, élèves en terminale au lycée Condorcet à Paris (75), dirigent Le Condorcéen, un journal entièrement conçu par les élèves. La première est rédactrice en chef, la seconde directrice de publication: elles nous expliquent ici comment fonctionne un journal quand aucun adulte n’intervient.

ON A AIMÉ

Une équipe enthousiasteUne équipe enthousiaste. «Quel bonheur de se retrouver enfin!», «Nous sommes plus qu’heureux de récupérer ce beau projet» : le ton de l’édito du numéro 16 de rentrée est à l’image de la joyeuse équipe du Condorcéen que nous avons rencontrée. Des élèves engagés avec bonne humeur dans un projet de journal scolaire dont ils sont les seuls responsables.

Des articles d’actualité rigoureuxDes articles d’actualité rigoureux. Les journalistes du Condorcéen aiment traiter l’actualité avec rigueur et précision. Pour écrire l’article de fond intitulé “Guerre en Ukraine : les prétextes russes pour la légitimer”, paru en mars 2022, la journaliste en herbe a synthétisé de nombreuses sources, indiquées clairement en bas de l’article.

Des micro-trottoirs bimédias. Le Condorcéen a aussi un compte Instagram sur lequel on peut retrouver la version vidéo de la rubrique Micro-Condo, le micro-trottoir traditionnel du journal qui interroge élèves et professeurs sur des sujets légers ou plus politiques. Enseignants et élèves répondent donc dans le dernier numéro, diffusé à Noël, à des questions comme «Comment avez-vous découvert que le Père Noël n’existait pas?» ou «Est-ce que ça vous dérange qu’il y ait des sapins, symboles d’une fête religieuse, dans les lieux publics, qui sont laïcs?»

Des micro-trottoirs bimédias

Interview croisée

« CE JOURNAL, C’EST UN PETIT BOUT DE CHACUN »

Prune Robin et Enya Serpaggi, élèves en terminale au lycée Condorcet à Paris (75), dirigent Le Condorcéen, un journal entièrement conçu par les élèves. La première est rédactrice en chef, la seconde directrice de publication: elles nous expliquent ici comment fonctionne un journal quand aucun adulte n’intervient.

Comment est né le Condorcéen? Quelle est son histoire?

Prune Robin: Le journal est né en 2018. Il y avait un autre journal, purement littéraire, qui était là depuis longtemps. Le Condorcéen est assez récent. C’est vrai qu’il a toujours été fait par des lycéens et je pense que c’est aussi ce qui a fait sa force dans le sens où, quand je suis arrivée, je savais ce qui m'attendait. Je savais que c’était un journal qui était autonome et que ce n’était pas sans conséquences ni sans difficultés. Mais je savais aussi que la cohésion au sein de ce journal était énorme et que je pourrais toujours compter sur les anciens. C’est vraiment un journal qui se passe de génération en génération et c’est vraiment super parce qu’il y a une vraie continuité.

Comment êtes-vous devenues respectivement rédactrice en chef et directrice de publication du Condorcéen?

Prune Robin. C’était un peu par hasard. En fait, j’ai toujours voulu faire du journalisme. Mais c’est vrai que mon année de seconde a été beaucoup perturbée par le Covid et celle de première quand même pas mal aussi avec la demi-jauge. En fin d’année, l’ancienne rédaction a placardé partout des affiches “ Le Condorcéen, venez écrire, venez participer”. Je me suis dit : c’est le bon moment, je rentre en terminale, j’ai un peu moins peur. Et j’ai écrit un article pendant les vacances de Pâques de l'année dernière. Après s'en est suivie la dernière réunion de l’année pour constituer la nouvelle rédaction et je me suis présentée comme rédactrice en chef directement. J’avais un peu peur en ressortant, quand j’ai été élue rédactrice en chef, mais finalement c’était un peu par hasard et c’était un très bon hasard.

Enya Serpaggi. Je suis entrée dans le journal au milieu de l'année dernière parce qu’il y avait les affiches où ils demandaient de l'aide et je me suis dit: pourquoi pas, ça fait un an et demi que j’en entends parler, ça a l’air bien, j’ai toujours aimé lire, écrire. Donc j’y suis entrée, j’ai commencé à écrire des articles. Je trouvais l’ambiance très accueillante, très sympathique. Et puis à la fin de l'année, quand ils nous ont présenté les différents rôles à tenir dans le journal, je trouvais que le rôle de directrice du publication était assez intéressant et je ne connaissais pas du tout. Parce que rédacteur en chef c’est le métier qui est très connu, tout le monde sait à peu près comment ça marche. Alors que directeur de publication, c’est la part d'ombre du journal, et donc c’était quelque chose que j’avais vraiment envie de découvrir.

C’est quoi être directrice de publication d’un journal scolaire? Comment t’es-tu formée à ce rôle?

Enya Serpaggi. Être directrice de publication, c’est être responsable de tous les articles. C’est à moi de les relire pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de problème: on doit éviter tout ce qui est prosélytisme (ça n’arrive pas souvent mais quand même). On fait en sorte que le contenu soit en accord avec toutes les réglementations. C’est aussi moi qui suis responsable si jamais il y a un problème. Donc je peux me retrouver devant le tribunal si on met en accusation le Condorcéen. Mais, de façon plus ordinaire, c’est moi qui relis les articles, qui vérifie que tout va bien. Ce rôle, on me l’a beaucoup expliqué l’année dernière, quand j’ai été élue. Le précédent directeur de publication m’a donné pas mal de petits conseils et des articles à lire concernant toutes les réglementations. Et puis ça s’est fait aussi au fil du temps par moi-même; pour ce que je pensais pouvant être dérangeant, j’ai demandé au rédacteur en chef et à l’ancien directeur de publication ce qu’ils en pensaient, s’il fallait modifier ou pas, et du coup en fonction de ce que je pensais et de ce qu’ils me disaient, je le faisais ou je ne le faisais pas.

Prune, en quoi consiste ta fonction de rédactrice en chef ?

Prune Robin. Ma fonction de rédactrice en chef, c’est d’essayer de coordonner un peu tout le groupe, de faire en sorte qu’un journal puisse sortir à la date qui est prévue, d’essayer de donner parfois des idées aux personnes qui font partie de la rédaction pour certains articles, d’organiser les réunions de rédaction, de voir aussi avec la Maison des Lycéens qui nous finance s’ils peuvent nous financer une impression couleurs, d’aller à l’imprimerie, faire des devis, voir des associations, participer aux concours. Je suis pas mal le relais entre le lycée et l’extérieur, et ce qui peut se faire avec des organismes extérieurs qui peuvent nous permettre de gagner un peu en visibilité.

Comment fonctionne le journal cette année?

Prune Robin. On a un grand groupe Whatsapp où on est beaucoup, mais, si on compte le nombre de personnes qui sont vraiment actives dans la rédaction, on doit être une dizaine à peu près. Et on propose tout le temps de participer. C’est pour ça qu’on a un très grand groupe: en fait, la rédaction n’est pas fixe et si un élève demain nous envoie un message en nous disant “j’ai un article là-dessus”, avec plaisir, on le met dans le journal. On se réunit en fonction de l’avancée des numéros. Généralement, on se réunit une fois qu’on a publié un numéro pour prévoir celui d’après. Et une fois en fin d’année, pour faire justement ce basculement et trouver la nouvelle rédaction.

Comment se fait le passage de relais d’une année sur l’autre?

Prune Robin. Ça dépend énormément. La rédaction précédente était en fait un peu la même depuis leurs trois années de lycée, donc elle était très stable. Mais comme ils étaient tous en terminale, ils sont partis et on est arrivés avec une nouvelle rédaction qu’on ne connaissait pas trop. Heureusement, l’ancien rédacteur en chef est maintenant en classe préparatoire ici, donc on est en contact et il m’aide, parce que ce n'est pas évident. Lui a l’expérience que je n’ai pas. On a aussi dû retrouver des maquettistes. C’est un travail qui est compliqué, qui est long, que tout le monde n’a pas envie de faire, mais on a réussi à trouver des personnes qui étaient motivées et qui le font très bien. Après, c’est des changements qui font que le journal vit aussi et c’est important que ça change et qu’il évolue. Il y a des rubriques qui changent, il y en a qui s’ajoutent, d’autres qui disparaissent et le journal, il vit vraiment.

Pendant les conférences de rédaction, comment se fait le choix des sujets? Comment cela se passe-t-il entre vous?

Prune Robin. Ça se base énormément sur l’actualité, parce qu’on est un journal d’actualité. C’est une grande discussion entre élèves qui s’entendent tous bien, qui généralement se connaissent. Ça aide aussi, personne n’est mis dans un coin et, si on a une idée, on l’expose, parfois ça fonctionne, parfois pas. Et puis parfois on arrive à croiser le Condorcéen avec le CVL (Conseil de la Vie Lycéenne) ou avec la Maison des Lycéens. Donc le choix des sujets suit la vie du lycée, vraiment. Donc ça dépend énormément des personnes qui sont présentes à ce moment-là et de ce qui se passe dans le lycée et en-dehors du lycée.

Avec quel outil travaillent les maquettistes du Condorcéen?

Prune Robin. Elles travaillent avec le logiciel libre Scribus. Elles sont deux. Et l’année prochaine, il va falloir trouver encore une fois des nouvelles personnes qu’il faut former, parce que c’est un logiciel assez complexe.

Qui relit? Qui valide?

Prune Robin. Pour relire, c’est Enya et moi. Par contre, la correction, tout le monde la fait. En fait on a un Drive où on met tous les articles et on a un tableau Excel où il y a le nom de l’article, où on en est (est-ce qu’il est prévu, en cours ou est-ce qu’il a été écrit), pareil pour la correction (est-ce qu’elle est prévue, en cours, ou faite) et pour l’illustration. En fait on suit l’avancée de chaque article pour voir un peu où on est et il y a au moins une correction par article. Et c’est surtout Enya qui les relit tous à chaque fois.

Que est le modèle économique de votre journal? Comment se passe la vente des journaux?

Prune Robin. On vend Le Condorcéen à prix libre. On est financés par la Maison des Lycéens (MDL) donc, si on a besoin de matériel ou d’un apport financier pour aller faire imprimer notre journal dans une imprimerie, ce sont eux qui financent. Mais généralement on fait imprimer le journal en noir et blanc au lycée, donc ça ne nous coûte rien. Mais là, par exemple, le dernier numéro on l’a fait imprimer en couleurs donc j’ai dû demander au président de la MDL et au trésorier de nous financer ce numéro-là. Du coup, on est assez liés à la MDL, mais on essaye d’être autonomes, financièrement parlant, au maximum. C’est pour ça qu’on ne peut pas se permettre de faire des impressions couleurs tout le temps, car ça représente un vrai coût. Mais les élèves participent vraiment à ça et comprennent bien qu’il y a des moments où il faut participer plus. C'est vraiment un journal où il y a une vraie entraide et une vraie cohésion, même entre les élèves ”juste lecteurs” et la rédaction. Il y a un vrai échange qui se fait. On le vend à la criée pendant les récréations. Généralement, c’est sur une semaine voire deux, ça dépend un peu de la vitesse à laquelle on le vend. Parfois, il faut réimprimer, parfois pas, c’est assez variable. On récupère l’argent dans notre poche et on le met dans une petite enveloppe et à la fin c’est moi qui récupère tout et qui la donne au trésorier de la Maison des Lycéens. Parce que même l’argent qu'on fait quand le journal est imprimé en noir et blanc, il revient à la MDL, justement pour qu’ils puissent nous refinancer après en couleurs.

Vous avez aussi un compte Instagram. Quel usage en faites-vous?

Prune Robin. C’est surtout pour informer les élèves quand il y a une réunion, quand on va sortir un nouveau numéro, quand on a participé à un concours ou des choses comme ça. Il est plus à but informatif qu’autre chose. On ne va pas publier nécessairement des choses qui sont en rapport avec le contenu du journal. C’est plus pour le faire vivre, parce que c’est quand même un moyen de communication qui est génial et qui touche parfois même plus que des affiches dans la cour.

Qu’est-ce qui vous plaît dans votre participation au Condorcéen et dans vos rôles respectifs?

Enya Serpaggi. Directrice de publication, ça donne des responsabilités et c’est quelque chose qui est assez intéressant quand on est lycéen, en vue du supérieur. On sent qu’on devient important et qu'on a un rôle à jouer dans cette activité. Et c’est vraiment quelque chose que je trouvais très intéressant, sachant que je n’ai pas eu l’occasion, jusqu’à présent, de vraiment expérimenter ces responsabilités : je n’ai jamais été déléguée ou quoique ce soit, donc c’était vraiment une première pour moi et j’ai adoré ça. Puis le fait d’être dans le journal d’une façon générale, de le diriger un peu en fait, c’est vraiment une expérience incroyable. Ça donne une vision complètement autre du journal que d’être simple rédacteur.

Prune Robin. Rédactrice en chef, c’est vraiment un rôle qui est multiple. On se retrouve à être contacté par des associations, par des concours et en fait on se rend compte que le journal va bien au-delà du lycée même et du CDI. Il peut vraiment prendre une importance assez considérable et c’est super de voir ça parce que la presse écrite est moins lue par les jeunes et finalement on s’intéresse encore à nos journaux. Et à chaque fois, c’est une petite fierté de sortir un journal et d’avoir des personnes qui viennent à la réunion, qui sont motivées, qui veulent écrire, qui veulent illustrer. Et puis de voir qu’on est soutenus et que les gens trouvent ça formidable. Et nous on est vraiment contents de produire ce journal pour ça aussi.

Quel moment vous a particulièrement marquées?

Enya Serpaggi. La première réunion où je faisais partie du comité de direction pour mettre en place le premier numéro, c’était un moment assez extraordinaire. C’est la mise en place de la dynamique de l’année, c’est accueillir les nouveaux membres du journal, c'est découvrir ce nouvel aspect du journal.

Prune Robin. La première fois qu’on a publié un numéro, j'étais là en tant que rédactrice en chef. C’est assez dingue, on a l’impression d’avoir créé quelque chose vraiment, de A à Z, et sans l’aide de personne, on est vraiment autonomes. Et quand on veut faire du journalisme plus tard, ça donne un aperçu et c’est vraiment une fierté, on est tous super contents. On a tous des obligations, on a quand même une vie de lycéen, une vie personnelle aussi, et c'est quelque chose à part quand on arrive à combiner tout ça pour créer ce journal, qui en fait est un petit bout de chacun. On est contents parce que c’était un vrai travail d’équipe qu’on a réussi à mener du début à la fin.

Un conseil à donner à des lycéens qui voudraient se lancer dans un journal?

Prune Robin. Évidemment, de se lancer et essayer. C’est vraiment une expérience extrêmement enrichissante. On apprend à connaître des personnes dans notre lycée qu’on n’aurait pas forcément connues sans, parce que, entre les cohortes, le lien n’est pas forcément fort. Mais cela permet de découvrir des personnes, des centres d'intérêts différents, d’avoir une ouverture d’esprit et de développer un esprit critique assez important parce qu’on n’est pas toujours amenés à écrire sur des sujets avec lesquels on est à l’aise. On sort de notre zone de confort et c’est une bonne formation pour après le lycée.

Enya Serpaggi. Lancez-vous. Il n'y a pas à tergiverser, c’est vraiment une expérience incroyable. Faut pas se poser de questions. C’est l’inconnu, certes, mais vous n’êtes pas tout seuls, il y a tous les autres membres du journal avec vous qui seront là pour développer ce journal, pour vous aider. C’est vraiment une expérience folle et ça fait découvrir plein de choses : l’actualité, les gens, la structure d’un journal. Personnellement je n’ai pas forcément confiance en moi tout le temps, mais le fait de faire partie du journal m’a appris à donner mon opinion, à pouvoir vraiment m'affirmer et c’est quelque chose que je souhaite à tous.

Propos recueillis par Maud Moussy le 14 avril 2022

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