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Par Sabine Duflo, psychologue clinicienne

Les images violentes, fictives ou réelles, sont très fréquentes sur nos écrans. La multiplication des écrans rend possible une confrontation plus courante de l’enfant à cette violence. À la télévision, sur les chaînes publiques, certaines règles sont appliquées. Les films déconseillés aux mineurs passent en soirée, des signalétiques en bas de l’image rappellent aux parents que ce film est déconseillé aux moins de 10 ans, 12 ans ou 16 ans. Mais sur internet, il n’existe aucun contrôle. Tous les contenus possibles sont visibles dès lors que les enfants ont accès à un portable, à un ordinateur connecté. Que faire ? D’abord comprendre ce qui se passe dans la tête de l’enfant quand il est confronté à des images violentes. Comprendre amène à prendre les bonnes décisions. C’est-à-dire protéger d’abord, expliquer ensuite.

COMPRENDRE LES ENJEUX

Lorsque nous percevons une scène violente, qu’elle soit réelle ou fictive, les conséquences sont toujours les mêmes. Quatre effets majeurs ont été rapportés : une augmentation des pensées et des comportements violents, un changement de l’humeur (l’enfant se montre plus anxieux, plus triste), une perte de l’empathie, des modifications physiologiques (accélération du rythme cardiaque, sudation).

Plus de comportements agressifs

L’agression peut se définir comme un comportement destiné à blesser intentionnellement un autre individu. Selon la théorie d’Albert Bandura, psychologue, les principaux mécanismes qui nourrissent le développement de comportements violents impliquent l’observation des conduites d’autrui ainsi que leurs conséquences. De plus, comme les travaux en psychologie du développement de Jean Piaget ont pu le démontrer, le processus imitatif joue un rôle essentiel dans les apprentissages. La découverte des neurones miroirs est venue ajouter une assise neurologique à cette observation. Ces neurones sont activés de façon similaire quand une action est observée ou exécutée par l’individu. Or, « lorsqu’un modèle effectue une agression […] et que son comportement est renforcé positivement, la probabilité augmente que, dans une situation analogue, le sujet observateur s’engage dans ce même comportement, même s’il n’en a pas expérimenté lui-même les conséquences. […] Il n’est pas nécessaire que le modèle soit en chair et en os. Il peut être un personnage de dessin animé, être présenté sur un écran ou à travers une histoire racontée. Cependant, le degré de ressemblance et de réalisme de la cible augmente la probabilité de l’imitation ». Dès lors, il est facile de comprendre qu’un contenu audiovisuel violent peut participer à l’apprentissage de la violence, d’autant plus qu’il sera présenté de façon régulière à l’enfant ou l’adolescent. L’enfant va tendre à rejouer cette violence par imitation, aidé par le processus d’identification au héros violent du film ou du jeu vidéo. Dans le cas des jeux vidéo violents, l’imitation est facilitée par un renforcement positif : dans un grand nombre de jeux, le joueur gagne des points chaque fois qu’il commet une action violente.

Cette violence n’est donc pas « cathartique » : elle ne permet pas à l’enfant de se « défouler ». Cela ne substitue pas sa violence interne. Elle ne rend pas nécessairement l’enfant plus courageux, c’est-à-dire capable de surmonter sa peur ou de protéger les plus vulnérables en cas de danger réel. Les études citées précédemment montrent, au contraire, que l’exposition répétée à des images violentes pourrait rendre plus violent et plus tolérant à la violence.

Modification de l’humeur

Par ailleurs, une étude montre que l’image violente s’inscrit durablement dans le cerveau émotionnel de l’enfant et de l’adolescent. La charge émotionnelle qu’elle véhicule ferait que le cerveau ne peut la traiter comme les autres perceptions. Elle peut donc ressurgir de manière inattendue sous forme de cauchemars, de phobies ou bien de comportements anxieux : l’enfant se met à avoir peur dans certains contextes ou bien sa peur est diffuse. Il peut perdre la capacité de faire le tri entre des situations effectivement inquiétantes et celles qui ne le sont pas. La présence du parent aux côtés de l’enfant ne modifierait que très faiblement l’impact émotionnel des images. Mieux vaut donc prévenir en évitant la confrontation de l’enfant à des images susceptibles de malmener son psychisme.

Sensibilité plus faible

À plus long terme, cet effet de stress diminuerait et l’enfant, l’adolescent pourrait « s’habituer » aux images violentes. Le cerveau, pour se protéger, ne pourrait supporter une situation de stress de façon continue. Cette « habituation » a un coût : l’enfant (comme l’adulte) perdrait progressivement ses capacités d’empathie et ne ressentirait plus la souffrance de l’autre, n’arrivant plus à se mettre à la place de l’autre.

Risque possible d’addiction

Les images violentes génèrent un stress particulier. En situation réelle, face à un danger très grand, le sujet a deux possibilités : fuir ou combattre, flight or fight. Face à des films d’action où les coups mortels s’enchaînent sans pause, l’enfant spectateur ressent un stress intense sans possibilité de trouver une issue par la réflexion et l’action, comme c’est le cas en situation réelle. Cela pourrait entraîner une « habituation », mais aussi une recherche de sensation toujours plus forte, car l’exposition répétée à des scènes violentes conduirait le sujet à ne plus ressentir aussi intensément la poussée d’adrénaline qui accompagne ces situations. L’enfant, l’adolescent peut être amené à rechercher des contenus toujours plus « intenses » en violence pour tenter d’augmenter ses sensations.

Dans le cas des jeux vidéo violents, notamment les FPS (First Person Shooter, c’est-à-dire les jeux de tir où le joueur voit l’action à travers les yeux du héros), les jeux classés PEGI 16 ou 18, l’enfant ou le jeune adolescent a une possibilité d’action par rapport à cette violence. Il peut fuir, et surtout combattre. L’objectif poursuivi dans ces jeux n’est pas la réalisation pacifique d’une tâche mais le combat répété pour sa propre survie ou celle de son groupe. Le joueur est valorisé par chacune de ses destructions. À l’association normale « agresser ou tuer = interdit » se substitue alors une nouvelle équation « agresser ou tuer = récompense », c’est-à-dire obtention de points. L’enfant, l’adolescent peut être amené à rechercher de façon obsessionnelle ce type de contenu, d’autant plus que ces jeux bénéficient d’une publicité très forte et de recommandations par les pairs (amis). Ce processus addictif concerne potentiellement tous les enfants, pas uniquement les plus fragiles. Le processus addictogène du jeu vidéo est favorisé par les caractéristiques techniques du jeu lui-même : hyperréalisme des personnages, possibilité de personnifier son avatar, option « sang » présente dans certains jeux (comme Mortal Kombat) qui permet de voir le sang couler lorsque les ennemis sont abattus. Ces caractéristiques nourrissent une esthétique de la violence, ainsi magnifiée.

PROTÉGER SON ENFANT

Respecter la signalétique et installer des contrôles parentaux

À la télévision, une signalétique -10, -12, -16, -18 ans – créée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), en charge de la protection des mineurs – affichée durant le déroulé de l’émission, permet au parent d’être informé du type de contenu diffusé. Mais avec la multiplication des chaînes, les films déconseillés aux mineurs n’ont cessé d’augmenter au fil des années. Le CSA ne découvre les programmes le plus souvent qu’après diffusion et peut alors signaler en conséquence avant le visionnage par le jeune public. Les journaux télévisés ne sont pas concernés par cette signalétique, contrairement aux magazines de société et d’information. En cas d’images susceptibles de heurter le jeune public, c’est au présentateur d’avertir les téléspectateurs.

En plus de cette signalétique, vous pouvez également activer le contrôle parental sur votre box ou télévision qui permet de restreindre l’accès à certaines chaînes ou programmes inadaptés aux enfants. Sur internet, il n’y a pas de contrôle par une instance supérieure pour interdire le flux des images violentes ou pornographiques. Il est donc recommandé d’installer sur tous les objets connectés que l’enfant utilise des fonctions de contrôle. Mais aucune de ces fonctions ne protège totalement l’enfant. Pour le jeune enfant, nous vous conseillons de permettre un accès à internet uniquement à partir d’un appareil situé dans la pièce commune : salon, salle à manger.

Mettre en place une gestion raisonnée du temps d’écran

Ayez conscience que plus l’approche des écrans aura été progressive et accompagnée, plus votre enfant en aura une utilisation maîtrisée. Pour cela, je vous conseille de suivre la méthode des « 4 pas » issues des recommandations de l’Académie américaine de pédiatrie : pas d’écrans le matin, pas d’écrans pendant les repas, pas d’écrans avant de s’endormir, pas d’écrans dans la chambre.

Interdire puis expliquer

Afin de protéger votre enfant de certains contenus inappropriés, préférez d’abord interdire leur visionnage et expliquer ensuite, quand l’enfant est assez grand pour comprendre. Privilégier uniquement l’explication (pour le jeune enfant), c’est prendre une mesure qui le protège mal. Dans le cas où votre enfant a été exposé à son insu à des images violentes, prenez le temps de regarder ce qu’il a vu pour comprendre ce qu’il a pu ressentir. Et soyez attentif dans les jours qui suivent à son comportement : difficultés d’endormissement, phobies soudaines, irritabilité. Parlez avec lui de ces images qui font peur et consultez un spécialiste – psychologue ou pédopsychiatre – si ces symptômes perdurent.

Montrer l’exemple et anticiper

Enfin, n’oublions pas que le parent reste souvent le principal modèle de référence pour son enfant. Par conséquent, il est déconseillé, en la présence de votre enfant, de visionner des images violentes, des contenus inappropriés ou déconseillés pour son âge. Votre responsabilité de parent vous invite à être particulièrement attentif aux types de programmes audiovisuels diffusés et d’être vigilant à éloigner de l’écran votre enfant en cas de nécessité, si des images violentes apparaissent. Ayez le bon réflexe : protéger, c’est anticiper !