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À la suite de la publication d’un dessin de presse jugé antisémite en avril 2019, le «New York Times» s’est d’abord excusé, puis a décidé deux mois plus tard de ne plus publier de caricatures politiques dans son édition internationale. Une décision radicale qui a suscité de vives réactions de la part de caricaturistes du monde entier.

Fiche ressources, parue dans le Dossier pédagogique de la SPME 2020

« Nous sommes profondément désolés de la publication d’une caricature politique antisémite diffusée en dehors des États-Unis, et nous nous engageons à ce qu’une telle chose ne se reproduise pas ». C’est en ces termes que le New York Times s’est excusé en avril 2019 après la publication d’un dessin dans les pages « Opinion » de son édition internationale.

Ce dessin du caricaturiste Antonio Moreira Antunes, initialement publié dans le journal portugais Expresso et repris par le New York Times, représente Donald Trump, affublé de lunettes noires d’aveugle et arborant une kippa sur la tête, tenant en laisse le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, représenté en teckel avec une étoile de David autour du cou. Un dessin condamné pour son caractère antisémite, même si son auteur s’en est défendu auprès de Libération.

Dans les jours qui suivent cette polémique, une procédure disciplinaire est enclenchée contre le responsable d’édition qui avait sélectionné le dessin pour la rubrique ­« Opinion ». Le journal renonce également à publier des caricatures issues de publications extérieures tout en maintenant les contrats avec des collaborateurs « maison ». Mais deux mois plus tard, le New York Times va plus loin et annonce officiellement la fin de la publication de toute caricature politique dans les colonnes de son édition internationale à compter du 1er juillet 2019. Si le journal a assuré que cette décision était envisagée depuis près d’un an (son édition quotidienne n’en comporte plus depuis 2018), l’affaire du dessin antisémite a nécessairement joué.

DES CARICATURISTES CONTESTENT

Caricatures

Un choix radical contesté par de nombreux dessinateurs, comme le souligne Courrier international. « Il n’y a pas de presse libre sans caricatures », constate Nicolas Vadot, un caricaturiste installé en Belgique. De son côté, Patrick Chappatte, collaborateur régulier du New York Times depuis une vingtaine d’années, déplore une atteinte à la liberté d’expression : « Toutes ces années de travail restent inachevées à cause d’un seul dessin – qui n’était pas de moi – qui n’aurait jamais dû être publié dans le meilleur journal du monde (...). Ces dernières années, certains des meilleurs dessinateurs de presse aux États-Unis (...) ont perdu leur travail parce que leurs éditeurs les trouvaient trop critiques envers Trump. Peut-être devrions-nous commencer à nous inquiéter. Et nous rebeller. Les ­dessinateurs de presse sont nés avec la démocratie et lorsque les libertés sont menacées, ils le sont aussi. »

Réagissant à la décision du New York Times, Le Canard enchaîné déplore « qu’on jette le bébé avec l’eau du bain. Comme si un journal s’arrêtait de publier des articles après en avoir laissé passer un mauvais. » Et l’hebdomadaire de démontrer par l’absurde à quoi il ressemblerait s’il décidait de ne plus publier de caricatures dans ses colonnes :

Caricatures

Ce débat sur la liberté d’expression a une résonance particulière en France depuis les attentats de janvier 2015, qui ont notamment visé la rédaction de Charlie Hebdo.

Dans Le Monde, Michel Guerrin, rédacteur en chef, assure que « le Times, qui devrait montrer l’exemple, envoie un mauvais signal au moment où le métier prend des coups ». Le nombre de caricaturistes a fortement diminué aux États-Unis (passant d’une centaine à une dizaine dans les journaux nord-américains selon le Washington Post). Le genre en lui-même est attaqué : « Dans les dictatures et les régimes autoritaires, la liste s’allonge des dessinateurs virés, emprisonnés, en exil, constate le journaliste. Mais dans les pays démocratiques, l’adhésion à l’ironie corrosive faiblit aussi, à cause des pressions communautaires et du politiquement correct portés par les réseaux sociaux. »

Le Monde s’est d’ailleurs déjà retrouvé dans la tourmente à cause d’un dessin de presse. L’affaire la plus récente remonte au 12 avril 2019, avec un dessin de Serguei. À l’occasion des 25 ans du génocide des Tutsi au Rwanda, le dessinateur montre deux hommes décapités en train de se battre à la machette. Au sol, deux têtes se parlent l’une à l’autre : « Et si on se réconciliait ? ». Après publication, le journal s’est excusé d’avoir publié cette caricature qui met sur le même plan les bourreaux hutus et leurs victimes tutsi. Ce qui n’a pas empêché le journal de continuer à publier d’autres caricatures par la suite.

Suggestions pour la classe

Organiser un débat sur les limites de la liberté d’expression autour du dessin de presse après avoir abordé en classe cette affaire du New York Times.

Sélectionner un panel de caricatures (actuelles et historiques) pour réfléchir sur le contexte de sa production, le sens de la caricature et les limites du propos. Pour mettre en place cette activité, vous pouvez vous appuyer sur la fiche pédagogique ***/!\*** « Aborder caricatures et dessins de presse en classe », disponible sur le site du CLEMI.

Ressources

  • « Des dessins de presse qui ont fait scandale », Le Monde, 31 août 2016
  • « Les réseaux sociaux vont-ils tuer les dessins de presse ? », émission La Fabrique Médiatique, France culture, 15 juin 2019
  • DOIZY, Guillaume. « Une petite histoire du dessin de presse », sur le site Caricatures & caricature, 4 décembre 2008
  • LE PENNEC, Tony. « LCI censure en direct des dessins de presse », Arrêt sur images, 3 octobre 2019

    Sébastien Rochat, responsable du pôle studio du CLEMI

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