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Selon le 6e rapport du GIEC (avril 2022), « les influenceurs sociaux et les leaders d’opinion peuvent favoriser l’adoption de technologies, de comportements et de modes de vie à faible émission de carbone ». Des influenceurs pour qui la prise de conscience, commencée pendant la crise COVID, reste pour l’instant une microtendance sur des réseaux sociaux vantant des modèles de surconsommation.

De nouveaux acteurs de l’information climatique

Le marketing d’influence représente 14 milliards de dollars à l’échelle mondiale en 2021. Ce type de stratégie se fonde sur le pouvoir de prescription d’internautes influents pour promouvoir une marque ou un produit. Ces influenceurs peuvent être des célébrités, des personnalités des médias sociaux, des blogueurs ou d’autres personnalités publiques. Le but est la recherche de visibilité, mais également la mise en valeur de produits et/ou de services par l’intermédiaire d’un influenceur qui gère une communauté ultra-ciblée de consommateurs. Beauté, mode, santé, nutrition, décoration, style de vie, voyage… La frénésie d’achat dans ces secteurs de prédilection des influenceurs a des conséquences désastreuses sur l’environnement. Ces relais d’opinion évitent en général d’évoquer la thématique écologique car ils la jugent complexe et ils ne veulent pas être dénigrés ou accusés d’hypocrisie.

Pourtant les internautes sont de plus en plus souvent outrés des publications offrant des voyages en avion low cost ou des incitations à surconsommer à coups de codes promo. L’image de l’influenceur dans un jet privé à destination de Dubaï est de moins en moins acceptée. Face à ces critiques et à l’urgence climatique, certains influenceurs (on en compte 150 000 en France) ont débuté leur mutation numérique en poussant à une consommation plus raisonnée et vertueuse.

Ces écocréateurs de contenus préfèrent se priver de revenus publicitaires pour être en plus grande conformité avec leurs valeurs. Ainsi Maria Lopez, alias @enjoyphoenix, refuse désormais l’envoi non sollicité de colis des marques de beauté. La YouTubeuse Swann Périssé a quitté Paris pour vivre en nomade dans une caravane empruntée à son grand-père. Elle propose son aide à ses abonnés pour des vidéos « Vert chez vous » : aménager un potager sur un balcon, construire une ruche dans son jardin, rénover une chambre de bébé de manière écologique… Ces influenceurs écoresponsables réorientent leurs lignes éditoriales pour valoriser la mode vintage, les produits d’occasion ou locaux, les achats dans les boutiques de charité, la création du neuf avec du vieux (upcycling) et les produits à faible technologie (low tech).

Le mouvement « honte de prendre l’avion » (flygskam) lancé en Suède fait des émules. Benjamin Martinie alias @globetolter a abandonné le transport aérien pour privilégier les voyages bas carbone, notamment en train et à vélo. En mars 2023, il a lancé le moteur de recherche de voyages Hourrail ! qui encourage les transports sans avion ni voiture… Sa chaîne YouTube remet également au goût du jour la formule du journaliste Raymond Cartier : « La Corrèze plutôt que le Zambèze » en redécouvrant le plaisir d’une micro-aventure à moins de 100 km de chez soi, dans des régions françaises mal aimées ou méconnues. Prêt pour un voyage en Creuse, en Seine-et-Marne ou dans le Loiret ?

Mais ces influenceurs écoresponsables ont du mal à toucher d’autres communautés, ils prêchent des convaincus selon Amélie Deloche de « Paye ton influence », le collectif qui veut réveiller le monde de l’influence sur les questions climatiques. S’ils se définissent eux-mêmes comme des « médias activistes », des « influenceurs éthiques » ou des « green influenceurs », on pourra s’interroger à juste titre sur les compétences scientifiques de ces éveilleurs de conscience, ou leurs réelles motivations.

Vulgarisation scientifique 2.0

En revanche, l’expertise de quelques scientifiques, experts et intellectuels a converti les jeunes diplômés aux enjeux écologiques via leurs interventions sur les réseaux sociaux. Jean-Marc Jancovici, professeur à l’École des mines, alerte la toile et affirme qu’il faudrait limiter à trois ou quatre le nombre de vols réalisables sur… toute une vie ! Fondateur du Shift Project, « Janco », comme l’appellent ses fans les shifters, s’est engagé à informer et influencer le débat sur la transition énergétique. Pour ses détracteurs, il reste un défenseur de l’énergie nucléaire et un partisan d’une planification étatique, trop critique vis-à-vis des politiques énergétiques allemandes.

Depuis dix ans, l’astrophysicien Aurélien Barreau accumule près de 200 vidéos sur sa chaîne YouTube (plus de 22 millions de vues). Du Parlement européen, à l’Unesco ou à l’Université d’été du MEDEF, Aurélien Barreau multiplie les interventions favorables à la décroissance et appelle à une révolution politique, philosophique et poétique. De même, la paléoclimatologue Nathalie Masson Delmotte déplace les foules pour ses conférences : 200 interventions publiques par an ! Classée parmi les 100 personnalités les plus influentes de l’année 2022 (Time Magazine), elle est devenue incontournable sur l’évolution du climat, notamment en vulgarisant les rapports du GIEC sur X (ex-Twitter). Admirée et très appréciée de ses collègues scientifiques français et internationaux, elle forme les membres du gouvernement français comme des collégiens ou des salariés.

Enfin Thomas Wagner, ancien employé de grands groupes financiers, mélange impertinence et rigueur scientifique pour faire comprendre les enjeux du changement climatique sur son site Bon Pote. En relayant et en vulgarisant les travaux des experts, il traque l’écoblanchiment (greenwashing) des grands groupes industriels et se définit comme un « activateur de décroissance ».

Des évolutions timides à la désinfluence

Malgré le développement de ces « influenceurs verts », scientifiques ou simples cyber-citoyens, les publications plus vertueuses sur les réseaux sociaux restent minoritaires. Pourtant des signes d’évolution positive apparaissent. Le nombre de concours avec billets d’avion à gagner est en baisse. L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) a lancé en 2020 un certificat de l’influence responsable avec des conseils déontologiques pour un développement durable. Le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique publie également un « guide de bonne conduite : influenceurs et créateurs de contenus ». Le point 30 de ce guide, mis en ligne en juillet 2023, propose d’intégrer les questions environnementales à l’activité d’influence commerciale, notamment en suivant les conseils des collectifs « Paye ton influence » et « À quand demain ? ».

On assiste également à l’émergence de nouveaux médias comme Vert, Reporterre ou encore les vidéos de LIMIT. Ces supports ont pour vocation d’alerter la population sur le dérèglement climatique et sur l’urgence non plus de s’adapter… mais bel et bien de changer de modèle. Portée par de micro-influenceurs dont les communautés sont très engagées, la désinfluence (#deinfluencing ou pratique de déconseiller certains produits et services) est dans l’air du temps. Cette tendance à l’anticonsumérisme et au contenu authentique est de plus en plus forte. Elle correspond à une perspective de vie plus équilibrée et réaliste, avec des pratiques responsables et durables. Par exemple, il est recommandé de privilégier des formats vidéo courts à visionner en basse résolution. Une vidéo en 720p génère 50 % d’émissions en moins qu’en 1080p et sans perte visible de qualité sur smartphone.

Toutefois l’accusation d’écoblanchiment des désinfluenceurs est déjà pointée car cette pratique ne répond pas à l’impact environnemental du numérique. Une étude des agences Footsprint et 1000 heads a comptabilisé qu’un influenceur avec 3 millions d’abonnés sur YouTube, Instagram, et TikTok et ses 15 heures de contenu publiées (345 millions de vues annuelles) émettrait l’équivalent de 481 allers-retours Paris-New York, soit 1,072 tonnes de CO2 par an. À comparer avec l’empreinte carbone numérique moyenne d’un Français : 253 kg de CO2 par an (Ademe/Arcep) !

Notre maison brûle et nous regardons YouTube… en 4 K.

Guillaume Garçon, formateur au CLEMI

Ressources complémentaires

Un monde nouveau. « Les “influenceurs verts” une espèce en voie de développement ». France Inter. 23/05/2023, [en ligne].

GUETTIER, Audrey. « Ces influenceurs écolos qui alertent et incitent à agir pour la planète ». Les Échos. 24/05/2023, [en ligne].

MARRIAULT, Chloé. « Les influenceurs peuvent-ils gagner leur vie sans pousser à la (sur)consommation ? ». Les Échos START. 27/02/2023, [en ligne].

MEGNIEN, Émilie. « Influenceur et écolo, c’est possible ? ». L’Express. 02/06/2023, [en ligne].

DE KERVENOAEL, Céleste. « Voyages en avion, “fast fashion”… les codes des influenceurs en ligne passent de moins en moins auprès de leur communauté ». Le Figaro. 06/07/2022, [en ligne].

AUBLANC, Manon. « Réseaux sociaux : Le “deinfluencing”, vraie tendance ou nouvelle stratégie marketing ? ». 20 Minutes. 06/03/2023, [en ligne].

FARES, Omar. « The deinfluencing trend reflects a growing desire for authenticity online ». The Conversation. 09/07/2023, [en ligne].

« Est-ce que les influenceurs sont de gros pollueurs ? ». L’Union. 14/03/2023, [en ligne].

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