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La frontière entre information et communication devient floue lorsque l’auteur est rémunéré par une marque. Un critère qui, appliqué aux images d’illustration utilisées par les médias, montre que l’intervention d’une marque peut prendre un chemin détourné.

Le sujet de la vaccination a, depuis le début de la crise sanitaire, fait l’objet de très nombreux articles, notamment en ligne. Or, ce sujet n’est pas forcément très facile à illustrer : hormis la représentation d’une seringue, d’un flacon et d’un acte médical d’injection, les sites d’information et journaux ont eu un peu de mal à se renouveler. D’autant plus que les laboratoires pharmaceutiques, dont les brevets sont le nerf de la guerre, se risquent rarement à laisser des journalistes se promener entre les microscopes.

En juin 2020, Le Figaro publiait un article titré « Coronavirus : l’Europe réserve 400 millions de vaccins », et évoquait les premières livraisons du vaccin AstraZeneca à venir. La photo qui illustre l’article est prise dans un laboratoire, une femme est en train de manipuler des flacons. Cette photo est-elle bien celle d’une laborantine en pleine expérimentation sur le vaccin à venir ? Le contexte de la photo et le rapport texte/image pointeraient vers une réponse positive. La légende, elle, indique : « Selon Bercy, l’objectif est de vacciner les populations à risque au sein de l’ensemble de l’Union européenne », sans autre précision.

 

Or, cette laborantine n’en est pas à sa première expérience, si on en croit les articles que l’on trouve en ligne. On la retrouve en effet illustrant un article d’octobre 2019 du site boursier Invezz, soit avant l’apparition du coronavirus, article évoquant la valeur des actions AstraZeneca quand un traitement contre le cancer des poumons a été approuvé au Japon. Mais travaillait-elle alors sur ce traitement contre le cancer ? Difficile à dire, car on retrouve aussi cette même photo illustrant un article du Times d’août 2017 (au sujet d’un rapport qui dit que la sécurité sociale britannique devrait travailler plus étroitement avec la recherche biomédicale) mais aussi sur le site Nordic Life science news, illustrant un article de décembre 2014, au sujet de la production de médicaments en Suède.

 

 

Cette photo date donc au moins de 6 ans au moment de sa publication par Le Figaro, qui est d’ailleurs le seul à donner une information sur son origine, indiquant que le photographe s’appelle Marco Betti. En cherchant dans un moteur de recherche le nom du photographe, on apprend sur son site qu’il travaille pour de nombreux clients, parmi lesquels figurent des médias : le New York Times, le Daily Telegraph… Mais aussi le laboratoire AstraZeneca. 

En se rendant sur le site en anglais du laboratoire pharmaceutique, on découvre que la rubrique “médias” propose une photothèque. Assez rapidement, la photo familière de la laborantine apparaît, simplement sous-titrée “Tests en laboratoires”. Elle appartient bien au laboratoire AstraZeneca lui-même, qui la met donc à la disposition de la presse. On en déduit que ce sont bien eux qui ont commandé cette photo au photographe Marco Betti. La pratique est courante : celui-ci travaille régulièrement pour la presse, il a donc un vrai regard de photoreporter. Mais lorsqu’il travaille pour AstraZeneca, ce regard se met au service de la marque. Il n’est alors plus un témoin extérieur, mais un prestataire de service. Validée et proposée par AstraZeneca, elle véhicule l’image que le laboratoire souhaite donner au public. Ici, la photo donne celle d’une entreprise propre, lumineuse, bien équipée ; la photo est agréable à l’œil. Cela ne veut pas dire qu’elle est mensongère, le photographe a très bien pu avoir un accès privilégié aux locaux de l’entreprise. Cependant, la photo ainsi obtenue n’est pas de l’information, mais bien de la communication. Elle pourrait tout à fait figurer sur un dépliant dédié à la promotion du laboratoire. 

Si le constat peut être gênant pour une photo diffusée par un média, dont la promesse est celle de l’information, les conséquences de ce choix iconographique restent cependant très limitées : l’information en elle-même n’en pâtit pas. Mais elle permet de poser la question de l’intention dans toute photo de presse, et celle, plus globale, des choix iconographiques des articles de presse lorsqu’il s’agit d’illustrer un sujet avec une photo qui n’est pas directement liée aux événements décrits.  

 

Sophie Gindensperger, journaliste
et formatrice CLEMI

 

Activités pour la classe

Aller à la source de la photographie

Choisir en ligne plusieurs articles illustrés par des genres d’images différents : photoreportage, illustration, photographies de stock (mettant souvent en scène des personnages dans des scènes de la vie quotidienne). Se poser les questions suivantes : Qui l’a prise ? Qui figure dessus ? Dans quelles circonstances a-t-elle été prise ? Dans quel but ? (Informer, esthétiser, vendre…). Faire une recherche inversée sur Google ou Tineye pour chacune de ces photos. Constater qu’une même photo peut illustrer plusieurs articles (parfois sur des sujets différents). Faire cet exercice avec la photo d’Astra Zeneca étudiée dans l’article du Figaro. Une fois son origine retracée, s’interroger sur son statut. 

Associer photos de presse et légendes 

Proposer aux élèves une série de photographies et une série de légendes. L’exercice est facile dans le cas de photos d’information, il s’avère plus compliqué dans le cas de photos d’illustration, notamment dans le cas de sujets dits “marronniers”, qui reviennent chaque année (ex : photos de route enneigée, de rentrée scolaire, etc. qui peuvent être légendées avec une date différente à chaque fois).

Faire légender une photo d’actualité par les élèves

Proposer aux élèves d’observer une photographie, par exemple choisie parmi les photographies “insolites” de l’AFP (le site de l’AFP afpforum permet d’effectuer une recherche dans la base de données et de consulter les photographies, sans les télécharger). Chaque élève doit ensuite proposer une légende : celle-ci sera probablement différente d’un élève à un autre. Proposer à nouveau l’exercice avec la photographie d’un événement connu et très identifiable. 

 

Ressources

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