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Internet a révolutionné le journalisme en permettant à des voix indépendantes, parfois censurées, de se faire entendre. Pour reprendre le contrôle, les régimes autoritaires tentent de développer un internet fermé, censuré, et surveillé.

Fiche info, parue dans le Dossier de la SPME 2020

Août 2019. Face à la révolte du camp prodémocratie, la cheffe de l’exécutif de Hong-Kong, Carrie Lam, sous-entend que l’administration pourrait bloquer les réseaux sociaux. Soucieux de contrôler l’information qui circule, des pouvoirs politiques n’hésitent pas en effet à restreindre partiellement ou complètement l’accès à Internet. L’ONG de défense des libertés numériques Access Now a ainsi répertorié 196 coupures en 2018 dans 25 pays, notamment en Asie et en Afrique. Un chiffre en augmentation.

Pour justifier ces coupures qui surviennent la plupart du temps en période électorale, d’examens ou pendant des manifestations, les États évoquent la nécessité de lutter contre les discours haineux ou les fausses informations. L’objectif est plutôt d’empêcher les voix dissidentes de s’exprimer. L’Inde est le pays qui coupe le plus internet. Le réseau a par ailleurs été bloqué entièrement ou en partie dans vingt pays d’Afrique depuis 2015, et à 77 % dans des pays autoritaires. En Égypte, plus de 500 sites, notamment de médias et d’ONG, sont ainsi inaccessibles. Ces coupures privent les populations d’un accès à une information fiable, et ont des conséquences lourdes dans leur quotidien et pour l’économie des pays concernés.

Des journalistes et des dissidents surveillés

Les régimes autoritaires tentent également d’intercepter les communications des journalistes avec leurs sources, via des logiciels malveillants. Au Mexique, pays en paix le plus dangereux au monde pour les reporters, des journalistes ont été espionnés par Pegasus, un logiciel vendu par la firme israélienne NSO Group. Le même logiciel avait été utilisé pour espionner des dissidents saoudiens en lien avec le journaliste Jamal Khashoggi avant son assassinat.

Ces outils de surveillance sont aussi vendus à des régimes autoritaires par des firmes européennes. En septembre 2019, Reporters sans frontières Allemagne et d’autres ONG décident de porter plainte contre l’entreprise allemande FinFisher pour avoir vendu en Turquie sans licence d’exportation le logiciel espion FinSpy, utilisé contre des voix opposantes.

Auto-censure

Pour déjouer la surveillance, les journalistes ont recours à des outils de messagerie cryptée, comme Signal ou ProtonMail. Mais à ce jeu du chat et de la souris, les censeurs se montrent très rusés. Le phishing, technique qui consiste à envoyer par mail un lien frauduleux sur lequel le journaliste est incité à cliquer pour déclencher un mouchard, est de plus en plus sophistiqué. Cette surveillance généralisée met en danger les sources des journalistes et peut les dissuader de parler.

Lorsqu’ils n’espionnent pas les journalistes, les adversaires de la liberté de la presse mettent en place des armées de commentateurs payés pour les harceler. Menaces de mort, de viol, messages de diffamation envoyés sur les réseaux sociaux… les femmes sont les principales visées par ces attaques. 70 % des journalistes femmes ont été menacées au cours des cinq dernières années, selon les chiffres de l’ONG Committee to protect journalists, et une femme journaliste sur trois envisage de quitter la profession du fait des violences en ligne, selon un rapport de l’International women’s media foundation.

Que font les « dieux de la Silicon Valley » face à cet usage liberticide de leurs outils ? Pas grand chose. Le modèle économique de Facebook n’encourage pas le réseau social à diminuer l’impact des contenus viraux et émotionnels, parmi lesquels le contenus haineux. Des fuites ont par ailleurs révélé que Google envisageait de lancer un moteur de recherche censuré en Chine, Dragonfly. Face à la levée de boucliers de salariés en interne, le projet a pour l’instant été abandonné, selon la firme.

Ressources

  • Le site de Nothing2Hide, association pour la protection de l’information en ligne nothing2hide.org
  • STAMBOLIYSKA, Rayna. La face cachée d’internet : hackers, dark net… Larousse, 2017.
  • BORTZMEYER, Stéphane. Cyberstructure : L’Internet, un espace politique C&F éditions, 2018.
En anglais
  • The state of internet shutdowns 2018 par Access now accessnow.org

Élodie Vialle, journaliste spécialisée sur les nouvelles technologies et la défense de la liberté de l’information en ligne

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