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Une des fonctions majeures du journalisme sportif consiste à faire vivre en direct des événements programmés et organisés, dont le déroulement et l'issue sont inconnus, dans une volonté de partage propice à fédérer, créer des communautés d'intérêt et d'émotions.

Fiche info, parue dans le dossier de la Semaine de la presse 2016

Le métier de journaliste sportif (ou journaliste de sport) connaît une forte mutation due à l'impact du numérique sur les modalités de couverture médiatique des événements. La diffusion, la com­munication et les interactions générées via les réseaux sociaux produisent un effet d'amplification. En outre, les droits et contrats qui entourent les manifestations transforment la médiatisation du sport (privatisation, exclusivité). Le journaliste de sport, en qualité de journaliste spécialisé, peut-il encore enquêter, mener un travail d'investigation sur les coulisses du sport par exemple ?

Journaliste, consultant, présentateur, animateur... : rôles et périmètres d'intervention

La retransmission d'événements sportifs en direct implique des « métiers » sensiblement différents. Le consultant est le plus souvent un anrien sportif qui apporte son expertise auprès d'un présentateur-animateur et/ou d'un journaliste. Le présentateur- animateur est en plateau-studio d'une chaîne de télévision ou de radio ; les commentateurs de l'événement (souvent des duos consultants-journalistes) se trouvent en cabine sur le lieu de l'évé­nement sportif couvert. Le journaliste peut aussi être en proximité des sportifs et de leur encadrement afin de recueillir en temps réel la parole des protagonistes, les faits marquants et d'en restituer l'atmosphère.
Par ailleurs, les espaces dédiés aux conférences de presse sont réservés aux journalistes accrédités.

La couverture médiatique de l'événement s'étend bien au-delà de celui-ci aussi bien dans le temps que dans les sujets traités. Une presse écrite spécialisée et des rubriques dédiées se développent forgeant un regard plus sociétal sur le sport (So Foot, Desports, cahier « Sport & forme » du Monde). Des émissions de décryptage du fait sportif et du monde sportif en général se multiplient, analysant les performances, l'environnement des sportifs, leur état de forme et leurs blessures, les choix tactiques, la composition des équipes, le marché des transferts, etc. Le public est invité à participer à ces émissions via les réseaux sociaux sous la forme de questions, de commentaires, de réponses à des sondages. L'interactivité est entretenue aussi par la proposition de jeux-concours, quiz.

Une autre dimension du journalisme de sport est l'enquête. La pression des enjeux financiers et des stratégies sportives forge une culture du secret qui rend difficile l'accès à l'information. Par ailleurs, la proximité des journalistes sportifs avec leurs sources (joueurs, entraîneurs, responsables d'instances...) peut empêcher la révélation d'informations recueillies dans le cadre du « off ». Comme le relève Jean-Marie Charon (Le Secret des sources, France Culture, 23/05/2015), les « affaires » liées au sport sont la plupart du temps rendues publiques, non par des journalistes sportifs, mais par d'autres journalistes d'investigation.

Pour une typologie du commentaire sportif

Dans sa contribution intitulée « L'évolution du com­mentaire sportif : de l'épopée à l'analyse rationnelle » (Médiamorphoses, n°11, 05/2004, INA), Manuel Fernan­dez établit deux grands types de commentaires : d'une part, « Le commentaire des origines (décrire, sentir l'instantané) », qui englobe « La parole de description » et « La parole d'émotion »; d'autre part, « Le commen­taire moderne : décrire, informer, expliquer, prédire... » dont font partie « La parole de l'expert », « La parole du journaliste moderne » et « La parole du terrain ».
Concernant la radio, deux journalistes de RFI, Marion Laflotte-Lefebvre et Mathilde Landie, spécifient les principales fonctions des commentaires sportifs sur les ondes : une fonction narrative et descriptive (raconter pour ceux qui ne voient pas), une fonction explicative (informer sur le contexte) et une fonction phatique (maintenir la communication avec les auditeurs). Leur article « Les commentaires sportifs » (RFI, 10/07/2008) comporte des témoignages de journalistes.

Technique et technologie : un champ d'expérimentation et d'innovation

Rendre visible et compréhensible l'événement, faire vivre et décu­pler l'émotion, créer de la proximité entre l'action et le « récepteur » sont les objectifs de l'usage et de l'amélioration des techniques audiovisuelles au service du journalisme sportif.

Les techniques et les technologies servent à sublimer le sport dans sa dimension quasi-artistique :

  • par le travail sur l'image (cadrages, types et durée des plans, mouvements de caméras, ralentis, (re)diffusion de l'action sous divers angles.) ;
  • par le travail du son (interviews des protagonistes à chaud, relais de l'ambiance sonore et filtrage sonore).

Gestes techniques exceptionnels ou nouveaux, harmonie du jeu d'équipe, fluidité des mouvements et des déplacements mais aussi gestes inaboutis, actions ratées, faits de jeu et faits extra-sportifs, sont autant d'actions sélectionnées pour magni­fier ces événements en spectacle. C'est peut-être dans le journalisme sportif que la dramaturgie de l'événement médiatisé est la plus significative.
Le journalisme sportif ne serait rien sans une solide équipe technique : il s'appuie sur une grande variété de dispositifs de captation et de scénarisation (caméra sur rail pour suivre l'ath­létisme, webcam câblée sur le central de Roland Garros, caméras et webcams embarquées sur des hélicoptères, avions, montgolfières, motos, drones, cadreurs suspendus, etc.). Cf. UVE! La retransmission des Jeux Olympiques, webdocu- mentaire réalisé par le Musée de l'olympisme de Lausanne.

Des outils toujours plus performants, allégés, miniaturisés, restituent de plus en plus finement les actions et les performances pour provoquer des sensations toujours plus fortes.
Pour rendre compte d'événements sportifs de manière factuelle et quitter l'émotion (résultats de matches, statistiques de performances, de public), des algorithmes sont utilisés. La rédac­tion de certains articles web ou papier est désor­mais assurée par ces programmes informatiques assimilés à des « robots journalistes ». Au-delà de ce journalisme automatisé, le journalisme de données (datajournalisme) permet de pratiquer l'investigation à partir de données et non plus strictement à partir du terrain. Cette pratique donne lieu à de nouveaux formats d'écriture. Par exemple, on trouve sur Rue89 une carte interac­tive qui recense l'intégralité des matches disputés par l'équipe de France de football, depuis la pre­mière Coupe du monde en 1904 en Belgique au dernier match amical avant la Coupe du monde 2014 au Brésil.

Ainsi, le rapport au temps de l'information est modifié pour le journaliste comme pour le public. L'un (journaliste ou robot) produit l'informa­tion en continu et peut l'ajuster en permanence, l'autre est destinataire de cette information à tout moment, sur tous supports et en mobilité (suivi des résultats en live sur téléphone mobile, tablette, etc.).

Privatisation et exclusivité des retransmissions : la liberté à l'épreuve

L'écosystème de la médiatisation du sport montre des liens puissants entre des domaines en tension (sport et argent, image et performance, marketing et valorisation d'un sport, individu et collectif...). La capacité financière dicte sa loi tant du côté des acteurs du monde du sport (effectifs d'un club, niveau des compétiteurs, impact d'image d'un club) que du côté des médias (droits de retrans­mission, droits à l'image des sportifs négociés et individualisés). Les annonceurs publicitaires comme les médias favorisent la tendance à la « starisation » des sportifs et des équipes, et leur marchandisation pour accroître leur audience.
De grands événements sportifs, autrefois biens communs (car retransmis par le service public), ont été progressivement comme mis aux enchères auprès de tous les opérateurs audiovisuels, y com­pris privés (Canal+, Eurosport, Beln Sports).
Les droits de retransmission concernent majori­tairement la télévision mais pourraient s'étendre à la radio voire à la presse (dont les offres numé­riques). Toujours à la hausse, ces droits produisent un effet de compétition accru entre les opérateurs au bénéfice du secteur privé. Jean-Marie Charon, sociologue des médias, pointe le tournant des années 1990 avec les contrats d'exclusivité qui, d'une part, ligotent la parole du journaliste sala­rié du média ayant acquis les droits et, d'autre part, exclut les autres journalistes de l'accès à l'événement donc au recueil direct d'informations (Le Secret des sources, ibid.). Le public doit de plus en plus payer pour voir, ce qui peut consti­tuer une entrave à l'accès à l'information, même si l'offre de programmes se diversifie.

Du côté des rédactions, la crise du modèle éco­nomique des médias conduit à des coupes budgé­taires, réduit le nombre de journalistes envoyés sur le terrain et celui de journalistes spécialisés. Néanmoins, les politiques publiques ont une fonc­tion de régulation. En France, le droit à l'infor­mation sportive est encadré par les lois de 1984, 1992, 1998 et surtout celle de 1986 relative à la liberté de communication (article 20-2 et décret d'application de 2004, loi n°84-610, loi n°92-652, loi n°98-146 et surtout la loi n°86-1067 (art.20-2) et le décret d'application n°2004-1392)) ; ainsi, le service public audiovisuel de télévision conserve la retrans­mission de certains grands événements sportifs (Roland Garros, par exemple).
Aux niveaux européen et français, l'accès public à ces événements sportifs comme rituels nationaux et biens communs reste un enjeu politique et légal qui fait l'objet de discussions et d'arbitrages récurrents.

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