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Les médias ne font pas que raconter le monde : ils en forgent aussi une représentation, que ce soit en nous informant ou en nous divertissant. La téléréalité, genre télévisuel très présent sur les chaînes françaises, y participe. Or, comme le relève le Haut Conseil pour l’Egalité, ce format charrie une vision des rapports femmes-hommes imprégnée de stéréotypes.

Parmi toutes les émissions de divertissement du PAF, c’est la téléréalité qu’a choisi en mars le Haut Conseil pour l’Egalité (HCE) pour alimenter son rapport sur « l’état du sexisme en France en 2019 ». Et plus particulièrement les émissions où les participants sont captifs d’un lieu, « en situation de jeux contraints entre les deux sexes ».

Apparue avec fracas en 2001, la téléréalité s’incarne d’abord en France dans l’emblématique « Loft Story », diffusée sur M6. Depuis, les formats mettant en scène des anonymes dans les situations les plus diverses n’ont plus quitté les grilles télé, migrant sur les écrans des smartphones au gré de la délinéarisation, mais aussi des comptes des candidats, devenus influenceurs sur les réseaux sociaux, et des talk-shows dédiés. Certaines émissions conservent des concepts emblématiques, comme celui des concours (« The Voice » pour les chanteurs sur TF1, « Top Chef » pour les cuisiniers sur M6), recevant à chaque édition de nouveaux candidats. D’autres sont simplement centrées sur la personnalité des candidats, en réunissant d’anciens participants d’autres émissions de téléréalité, comme « Les Anges » (NRJ12) ou « Les Marseillais » (W9). Elles ont particulièrement retenu l’attention du HCE.

NRJ 12 - Les Anges 11 - Episode 104

NRJ 12 - Les Anges 11 - Episode 90

NRJ 12 - Les Anges 11 - Episode 90

Culture du clash

Plusieurs problèmes ressortent dans l’analyse du HCE, inhérents pour certains à la construction des émissions, basées notamment sur la mise en scène de « clashs », avec souvent des agressions verbales, à la limite de la menace physique, comme le montre l’épisode 92 de la saison 11 des « Anges », où une fête d’anniversaire devient le théâtre de cris et menaces entre tous les candidats. Au cours de ces disputes surgissent régulièrement des insultes, qui peuvent avoir recours à tous types de stéréotypes, discriminants aussi bien par le genre, le physique que l’origine.

Par exemple, dans l’épisode 60 de la saison 4 des « Marseillais vs le Reste du Monde », une candidate interpelle une autre avec ces mots : « Qu’est-ce qu’elle a la naine ? ». Autre exemple, relevé par le HCE, dans l’épisode 104 des « Anges de la Téléréalité 11 », diffusé le mardi 18 juin 2019, un clash opposant Sephora à Aurélie éclate. Cette dernière insulte alors l’autre candidate, d’origine guadeloupéenne, en tenant ces propos : « T’as une gueule, c’est Bob Marley à la moche », « T’as pris un poulpe pour te le mettre dans les cheveux ! », faisant directement référence à sa couleur de peau et à la nature de ses cheveux.

La sociologue Nathalie Nadaud-Albertini, citée par le HCE, évoque pour ces émissions les notions d’« idéal de virilité symbolique » et de « culture de la virilité », correspondant à l’idée que pour gagner les épreuves et être mis en valeur, il faut adopter la conduite d’un guerrier, prompt à intimider les autres, voire à recourir à la violence, et ce, que l’on soit un homme ou une femme. Chaque genre se voit cependant attribuer les stéréotypes qui leur sont classiquement liés : aux hommes les activités mettant en avant leur force et leur détermination (boxe, football, épreuves sportives), aux femmes les métiers et activités mettant en avant leur physique et leur charme, occupées régulièrement à « se faire belles », comme le montre l’épisode 90 des « Anges saison 11 », où la candidate s’apprête forcément “pour” un candidat.

Les personnages féminins sont, par ailleurs, souvent dénigrés : à titre d’exemple, dans l’épisode 66 des « Marseillais 4 », Kevin dit à propos de sa compagne : « Carla je l’aime beaucoup mais quand elle fait le test de culture G, j’ai envie de me mettre sous la terre. Heureusement qu’elle fait pas les comptes à la maison, sinon on serait dans la merde », voire elles se dénigrent entre elles : « Carla, on va pas se mentir okay j’ai pas été une lumière mais alors elle, elle a même pas allumé la bougie ».

Elles sont en outre vues comme « faibles » dans les épreuves, comme par exemple dans l’épisode 65 des « Marseillais 4 », lorsque Hilona et Kevin doivent s’affronter dans un duel, Kevin réagit en ces termes : « Pourquoi elle m’a mis une fille ? Elle sait pas ce qu’elle fait ! On va gagner, c’est sûr, j’suis sûr de moi, je vais l’exploser Hilona. »

Des corps hypersexualisés

Les femmes sont souvent réduites à un corps, se promenant en bikini alors que la situation ne s’y prête pas, ou arborant des tenues très sexualisées. Cependant, note le HCE, ces codes vestimentaires hyper sexualisés peuvent aussi dénoter, à l’inverse, d’une volonté d’empowerment, à l’image des codes de la pop culture (Beyoncé, Aya Nakamura), où le corps peut être utilisé comme une arme d’affirmation de soi.

La drague et les histoires de couple sont un ressort narratif très fort des émissions. Or, celles-ci sont la plupart du temps basées sur « la rivalité et une focalisation forte sur les hommes qui sont les maîtres du jeu ». Par exemple, dans l’épisode 90 de la saison 11 des Anges de la téléréalité, un candidat qui s’est mis en couple avec une candidate précédemment en couple se voit conseillé : « porte tes couilles, dis à Julien, “je t’ai pris ta femme” ». Plus tard, lors d’un entraînement de foot, un candidat estime : « Devant ta meuf tu peux pas te manquer, sinon tu vas passer pour un crabe ».

« Plus généralement, les émissions de téléréalité valorisent d’un côté «l’hyperféminité» des candidates et de l’autre «l’ultra-masculinité» des candidats. De cette dichotomie découle une vision des rapports entre femmes et hommes stéréotypée et inégalitaire. Les candidats sont considérés comme des Don Juan dominateurs et les candidates comme des séductrices », conclut le HCE.

Activités pour la classe

Regarder l’extrait « Les Anges 10 – générique »

Décrire la façon dont sont habillés les candidats et candidates, leur comportement, et leurs activités.

Les femmes sont habillées de façon très sexy : à leur avis, quel est leur objectif en s’habillant ainsi ? Sur les vêtements : sont-ils adaptés au contexte et aux activités ? Si non, quel est l’objectif des producteurs de l’émission, et qu’est-ce que cela traduit des stéréotypes femmes/hommes ?

Regarder l’extrait « Les Anges 11 - le clash »

Que remarquent-ils sur le langage utilisé ? Les scènes de violences et de menaces physiques leur semblent-elles justifiées ? A quoi servent-elles à leur avis ?

Regarder l’extrait « Les Anges 11 - Machisme »

Qu’est-ce qui différencie les femmes des hommes ? Quelles sont les activités récurrentes des hommes et des femmes dans ces émissions ? Qu’en tirent-ils comme conclusion ? Peuvent-ils faire le parallèle avec d’autres types d’émissions ou de productions médiatiques dans lesquels les genres sont très stéréotypés ?

Ressources

  • Rapport du Haut Conseil pour l’Egalité (HCE) sur l’état du sexisme en France en 2019 [en ligne]. Publié le 02/03/2020.
  • NADAUD ALBERTINI, Nathalie. La téléréalité, ce grand feuilleton transmédia [en ligne]. La revue des médias, INA. 2017.
  • Extraits évoqués dans la fiche disponibles en ligne avec le dossier pédagogique sur clemi.fr

Sophie Gindensperger, journaliste et cheffe de projet au CLEMI

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