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Ils s’appellent DirtyBiology, Micmaths, Scilabus, E-penser, Manon Bril... Sur YouTube, leurs vidéos de vulgarisation atteignent des centaines de milliers de vues, saluées autant par leurs fans novices que les grands pontes scientifiques. Cependant, s’y retrouver dans l’offre pléthorique de la plate-forme n’est pas évident. Comment savoir si l’on peut faire confiance à une vidéo scientifique trouvée sur YouTube ?

 

Le 23 mars 2020, alors que la France et de nombreux pays dans le monde sont confinés à cause de la covid-19, est publiée une vidéo intitulée « Coronavirus, dangers immédiats et futurs ». Son auteur, « 4ovet24 », parle à l’internaute face caméra pendant plus de 14 minutes. « Je vous parle depuis la Suisse et les montagnes suisses », commence l’homme d’une cinquantaine d’années, qui, de sa voix grave et de son ton pédagogue, propose de répondre aux « questions qui affluent ».

 

Son vocabulaire est rapidement truffé de termes scientifiques, comme le « récepteur ACE2 » ou « la pointe protéique du virus ». Selon lui, les personnes infectées puis guéries seraient les plus exposées au risque, car « la deuxième vague d’infection est celle qui est véritablement létale », évoquant un parallèle avec la grippe espagnole de 1918-1919. Il prédit donc une deuxième infection synonyme de décès. Partagée en cascade sur Facebook, la vidéo affiche aujourd’hui un compteur à plus de deux millions de vues, et suscite de nombreux commentaires affolés.

 

Devant un tel discours, difficile, quand on n’est pas soi-même médecin ou scientifique, d’évaluer la valeur de cette thèse. Plusieurs critères peuvent cependant permettre une rapide évaluation de l’expertise qui se présente comme telle en face de soi. 

 

Qui est l’auteur ? Que dit-il de lui ? A-t-il des archives ? 

 

C’est bien sûr la première question qui se pose, notamment pour évaluer l’expertise qu’il peut avoir sur tel ou tel domaine. Ici, un lien dans la description de la vidéo pointe vers un compte Twitter : celui de Pascal Borel, que sa bio présente comme « Autodidacte passionné par les sciences humaines et l’évolution du vivant, je fais les liens entre les domaines financier, économique, politique et biologique. » Au moment de la publication de la vidéo, il s’agit de la première de cette chaîne. Il faudra attendre quelques jours pour en voir apparaître d’autres, moins axées sur l’information scientifique. Si cela peut déclencher une petite alerte, il est évident que tous les youtubeurs ont forcément commencé par une première vidéo. C’est, par exemple, le cas de Mehdi Moussaïd, qui a lancé sa chaîne, Fouloscopie, en décembre 2018, avec « 10 conseils pour survivre pendant un mouvement de foule ». Cependant, dès les premières secondes de sa vidéo, il évoque la thèse qu’il a réalisée sur ce thème, et la description de la vidéo est très complète sur le profil de l’auteur. Par ailleurs, beaucoup d’internautes ont découvert cette vidéo sur la recommandation du youtubeur Dirtybiology, qui bénéficie d’une cote de confiance importante auprès de la communauté des youtubeurs scientifiques. Autant d’éléments qui appuient sa crédibilité.

Captures d’écran de la chaîne YouTube 4ovet24.

Quelle est son expertise ?

 

Le lendemain de la publication de cette première vidéo, Pascal Borel en publie une deuxième, intitulée « qui suis-je », dans laquelle il explique notamment avoir longtemps travaillé dans l’import-export d’ananas. S’il n’a lui-même aucune expertise particulière en médecine, il invoque une culture familiale importante dans ce domaine, particulièrement par son père, le professeur Georges-Antoine Borel, docteur en médecine qui a été enseignant à la Faculté de médecine de l’Université de Lausanne. 

 

Même s’il est important, ce critère n’est pas toujours concluant : la communauté des youtubeurs est loin de baser la légitimité de ses « stars » sur leurs diplômes. Par exemple, Bruce Benamran, qui vulgarise la science sur sa chaîne e-penser depuis 2013, est titulaire d’une maîtrise d’informatique, ce qui n’est pas en lien avec le thème de ses vidéos.

 

La transparence des sources

 

La légitimité des youtubeurs vient en grande partie de leur effort de transparence dans leur façon de travailler, et particulièrement dans le partage des sources d’information qu’ils ont utilisées dans leurs vidéos. Par exemple, dans cette vidéo de la youtubeuse Scilabus, les sources sont citées dans la description de la vidéo (en cliquant sur « plus »). Léo de DirtyBiology, quant à lui, partage dans la description un lien vers son document de travail comprenant l’ensemble des sources utilisées. 

 

Sur la vidéo qui nous intéresse, dans laquelle Pascal Borel parle de « source sûre », impossible de savoir de quoi il s’agit. En effet, aucune source n’est indiquée dans la description de la vidéo. 

 

Plonger dans les commentaires

 

Plusieurs mois après la publication de cette première vidéo par Pascal Borel, elle fait l’objet de plus de 1 500 commentaires. Certains le remercient, d’autres se montrent très sceptiques sur son analyse. De quoi éveiller la méfiance, surtout lorsque les commentaires critiques sont polis et argumentés.

 

Reconnaître et corriger ses erreurs, en lien avec la communauté scientifique

 

La pratique la plus courante chez les youtubeurs est de tenir compte des critiques, lorsqu’elles sont argumentées et/ou qu’elles émanent de la communauté scientifique, soit pour y répondre, soit pour apporter des modifications, voire publier une nouvelle vidéo. Exemple, la youtubeuse Manon Bril, docteure en Histoire, a coupé des passages d’une vidéo sur le thème “Les erreurs sexistes dans l’archéologie” diffusée en mai 2020, après avoir reçu des précisions de la part d’un docteur en Biologie, et explique longuement sa décision et les enjeux du débat sur Twitter, en précisant qu’elle avait fait « relire sa copie » par une archéologue et une sociologue.

 

Certains youtubeurs pratiquent en effet un système de relecture par les pairs avant publication. Par exemple, dans sa vidéo intitulée « Cette pandémie, vue depuis 2021 », DirtyBiology remercie notamment Pierre Kerner pour sa relecture. Pierre Kerner est Maître de Conférences en génétique évolutive du développement à l’Université Paris Denis Diderot et à l’Institut Jacques Monod. 

 

La vidéo de Pascal Borel ayant connu une forte viralité, elle a été soumise à plusieurs services de fact checking. CheckNews de Libération, tout comme les Décrypteurs de Radio Canada ont interrogé des experts reconnus à propos du  discours de Pascal Borel. Leurs conclusions sont similaires : incompréhension face à des théories jugées farfelues et inutilement alarmantes. « Ce qui n’ébranle pas Pascal Borel, qui invoque le principe de précaution comme justification à son partage d’informations douteuses », indique CheckNews, qui a pu contacter l’intéressé. Celui-ci a continué à publier des vidéos pour partager ses opinions sur la pandémie par la suite, avec une audience plus confidentielle.

 Captures d’écran - Manon Bril, Micmaths, Dirty Biology, Scilabus

Sophie Gindensperger, journaliste et cheffe de projet au CLEMI François Rose, formateur CLEMI

Ressources

  • Science de comptoir. Peut-on faire confiance aux Youtubeurs scientifiques ? [En ligne] 2016.
  • 350 ressources culturelles et scientifiques francophones en vidéo [en ligne]. Ministère de la culture. 2018.  

Activités pour la classe

Commencer par un exemple positif, en choisissant par exemple la vidéo de DirtyBiology citée ci-dessus et la regarder ensemble. En classe entière, s’interroger sur la légitimité de la vidéo, faire chercher aux élèves les indices, d’abord librement puis avec les critères développés ci-dessus. Pensent-ils pouvoir faire confiance à cette vidéo ? Pourquoi ?

Ensuite, regarder le début de la vidéo de Pascal Borel, d’abord faire remarquer les différents marqueurs de légitimité (prise de parole sûre, vocabulaire scientifique, énormément de vues…). Chercher ensuite à évaluer ensemble cette vidéo à l’aide des critères présentés dans la fiche, et en faisant des recherches suggérées par les élèves. Faire constater les différences entre les deux types de vidéo, puis faire le point sur les critères d’évaluation d’une vidéo sur YouTube.

 

 

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