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Publier un dessin de presse dans un journal demande de respecter la liberté d’expression du dessinateur, tout en faisant en sorte que le dessin choisi corresponde bien à la ligne éditoriale du journal. Deux impératifs qui nécessitent la mise en place d’un circuit de validation très précis.

En janvier 2021, après 19 ans de collaboration, le dessinateur Xavier Gorce a pris la décision de quitter Le Monde. Le journal avait choisi de publier des excuses au sujet d’un de ses dessins, controversé. Une affaire qui pose l’épineuse question du processus de publication des dessins de presse, entre cohérence d’une ligne éditoriale et respect de la liberté d’expression des dessinateurs.

Ce 18 janvier 2021, comme tous les soirs de la semaine, Xavier Gorce envoie son dessin à la rédaction du Monde. Dans la nuit, cette caricature ayant pour thème l’inceste est éditée et publiée dans la newsletter matinale. Mais le dessin en question, qui n’a pas fait l’objet d’une validation par la direction de la rédaction, crée rapidement une polémique sur un sujet sensible. Il est finalement désavoué quelques heures plus tard par le quotidien du soir. Un épisode inhabituel : le processus de validation précis des dessins de presse dans les rédactions vise justement à se prémunir contre ce type de mésaventure.

Plusieurs dessins proposés

Restons par exemple au Monde, pour le dessin publié sur sa une papier. Jusqu’à sa retraite en mars 2021, c’est le dessinateur Plantu qui proposait tous les matins trois à quatre ébauches de dessins vers 8h30. La version finale du dessin retenu par la rédaction en chef était ensuite envoyée vers 10h15, un quart d’heure avant le bouclage. Entre le rédacteur en chef et le chef d’édition, au moins deux personnes « relisaient » le dessin du jour de Plantu.

Ce processus est le plus répandu. À Marianne, par exemple, la rédaction travaille avec une petite dizaine de dessinateurs, qui proposent cinq à dix dessins par semaine chacun. La direction de la rédaction de l’hebdomadaire – souvent Natacha Polony –, les sélectionne, conjointement avec la direction artistique. « Notre seul critère pour savoir si le dessin est bon, c’est qu’il nous fasse sourire, ou franchement rire », explique Gérald Andrieu, directeur adjoint de la rédaction de Marianne. À Libération, même principe : le quotidien travaille avec deux dessinateurs réguliers. C’est le directeur artistique, Nicolas Valoteau, qui fait le relais entre les caricaturistes et la direction de la rédaction. « On reçoit deux à trois propositions par jour, en fonction de l’humeur du dessinateur, de son inspiration et de l’actualité », explique-t-il.

Frictions autour de la ligne éditoriale

Valoteau et Andrieu affirment n’avoir jamais censuré un dessin – le refus n’étant pas une censure mais un choix éditorial –, ni demandé de modifications à leurs auteurs. Le tout grâce à un circuit de relecture bien balisé, mais aussi à une question de confiance : en général, les dessinateurs avec qui travaillent les rédactions adhèrent à leurs lignes éditoriales.

Mais des frictions peuvent apparaître. Quelques mois après son arrivée à Libération, en avril 2021, la dessinatrice Coco, qui officie également à Charlie Hebdo, ne fait pas l’unanimité en interne. Sur certains thèmes, le féminisme, l’antiracisme ou l’islam, ses dessins dénotent avec le traitement journalistique de Libé. Certains journalistes en interne estiment que Coco aurait tendance à s’attaquer aux minorités avec autant, voire plus de force qu’aux puissants, et regrettent que la critique de son travail soit complètement verrouillée par la direction du quotidien. D’autres, au contraire, considèrent que la journaliste « a mis un coup de pied dans la fourmilière » à Libération, « devenu trop politiquement correct ».

Ces tensions, au sein du quotidien, illustrent toute la difficulté de l’exercice de la caricature : même avec un processus de validation rigoureux, la place du dessin de presse et son adéquation avec la ligne éditoriale suscitent un débat permanent.

Maurice Midena et Pauline Bock,
journalistes pour le site Arretsurimages.net

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