Aller au contenu principal

Sur le web, de nombreux sites répandent des infox liées à l’alimentation, à la santé et plus généralement aux sciences. Ces sites, qui ont fait de la rumeur leur modèle économique, jettent volontairement le flou sur des études scientifiques publiées en anglais pour s’acheter une crédibilité.

Le citron congelé, remède miracle contre le diabète, les tumeurs et l’obésité ? Une fake news grossière, et pourtant partagée des milliers de fois par les abonnés de la page Facebook Santé Nutrition, qui sont plus d’un million. Même révélation sur la page Santé+ Magazine, qui totalise plus de 8 millions d’abonnés (et n’a par ailleurs rien à voir avec la publication Santé Magazine).

Comment ces sites, pourtant largement décriés, parviennent-ils à attirer autant d’internautes qui continuent de suivre, aimer et partager ces recettes de charlatan ? L’attrait pour la rumeur, d’abord, qui a toujours proliféré sur les questions de santé. En 1970, un faux tract prétendument publié par l’hôpital de Villejuif (de son vrai nom Institut Gustave Roussy) présente une liste d’additifs alimentaires classés en fonction de leur toxicité, faisant notamment apparaître l’additif E330 (correspondant à l’acide citrique, présent naturellement dans de nombreux fruits, dont le citron) comme toxique et cancérigène. Ce document, connu sous le nom de Tract de Villejuif, circule encore aujourd’hui sur le web, se nourrissant encore de la méfiance envers les codes des additifs, difficiles à déchiffrer pour les non avertis, et dont certains peuvent effectivement être nocifs. Se construit, alors, l’idée de garder le pouvoir sur l’information que l’on nous donne, comme l’explique Jean-Noël Kapferer au sujet de la rumeur : « Elle est souvent une parole d’opposition : les démentis officiels ne la convainquent pas, comme si officiel et crédible n’allaient plus de pair. Elle témoigne donc d’une remise en cause des autorités, du “qui a le droit de parler sur quoi”. Information parallèle et parfois opposée à l’information officielle, la rumeur est un contre-pouvoir. » (1987)

Tract de Villejuif

Aujourd’hui, la défiance des citoyens envers la science est un phénomène grandissant. Pour Virginie Tournay, directrice de recherche au CNRS, les causes principales de cette montée en puissance des discours alter-scientifiques auparavant ultra-minoritaires sont « les dérives de l’hypermédiatisation et la dérégulation du marché de l’information ».

Illusion de scientificité

C’est de ce terrain fertile que se nourrissent aujourd’hui les nombreux sites qui se réclament de la science pour relayer les rumeurs les plus spectaculaires sur l’alimentation et la santé. Comment ces sites, pourtant largement décriés, parviennent-ils à donner une illusion de sérieux ?

Illusion de scientificité

Une des méthodes les plus utilisées consiste à s’appuyer sur des sources qui émanent, pour la plupart, de sites anglophones : pour le commun des lecteurs, impossible d’évaluer la fiabilité de ces articles en langue étrangère publiés sur des sites spécialisés. Lorsque les lecteurs ne voient que les titres des études citées, il est aussi possible d’en tirer des conclusions assez lointaines de ce qu’elles contiennent véritablement. Les arguments avancés sont alors difficilement vérifiables ou réfutables.

En utilisant des sources issues de la commu­nauté scientifique, on utilise pour gagner l’adhésion du lecteur l’argument d’autorité : le propos est validé par son origine plutôt que par son contenu. Un procédé plutôt paradoxal dans cette situation : on utilise des sources scientifiques pour réfuter une science dite institutionnelle qui serait corrompue.

Des infox lucratives

Ces sites, qui vivent de la publicité et ont donc intérêt à avoir un maximum de visiteurs, industrialisent la rumeur pour en faire leur modèle économique. La même « exclu » sera ainsi publiée des dizaines de fois sur une page Facebook, avec pour but de gagner un maximum de visibilité et faire venir les lecteurs.

Des infox lucratives

Une fois sur le site, l’article complet offre par ailleurs un écosystème informationnel où le lecteur trouvera pêle-mêle publicités pour des produits de régimes, articles anti-vaccins, et autres sites du même acabit.

En 2015, Rue89 était parvenu à joindre le fondateur du site Santé Nutrition, qui précisait que la publicité sur son site permettait de financer son salaire et celui de deux autres personnes. De son côté, Othman Kabbaj, qui gère le site Santé+Magazine, expliquait au Monde en juillet 2019 vouloir assainir sa ligne éditoriale, après avoir été mis en cause par de nombreux médias, ce qui aurait abouti à une forte baisse de revenus. « En fait, c’est un peu sidérant que ce genre de sites aient des annonceurs. C’est tout un écosystème qui ne produit pas d’anticorps contre cette désinformation », se désole dans le même article Yves Sciama, président de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI).

Mais la publicité n’est pas le seul nerf de la guerre ; certains sites utilisent désormais les données personnelles recueillies pour les revendre au plus offrant. Selon un article de janvier 2018 du magazine Que Choisir (1), c’est le cas de Santé Nature Innovation. Ce site très fréquenté, qui diffuse de nombreuses rumeurs et contre-vérités sur la santé, ne se contente pas de vendre des produits à des lecteurs captifs, mais revend des fichiers collectés notamment via des campagnes de dons et des pétitions.

Suggestions pour la classe

Proposer aux élèves un article issu d’un des sites cités plus hauts : peuvent-ils évaluer l’information présentée ? Suffit-il ici de croiser les sources et de relever les citations scientifiques ?

Travailler autour de revues de vulgarisation scientifique au CDI ou en ligne et identifier la place attribuée aux informations spectaculaires, la démarche et le raisonnement utilisés pour structurer les articles, les études citées. Quelles conclusions peut-on tirer de la comparaison de ces deux types de publications ?

Ressources

Elsie Russier, responsable de la formation au CLEMI

  1. Erwan Seznec, Clémence De Blasi. Santé Nature Innovation. De bien curieux remèdes. Que Choisir 565, janvier 2018.

Vous aimerez aussi...