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Les théories du complot prospèrent aujourd’hui sur les réseaux sociaux ; elles n’ont évidemment pas attendu l’existence de ces médias pour se développer. Et si elles se nourrissent de l’époque, elles reposent d’abord sur des mythologies bien implantées dans l’imaginaire collectif, ressurgissant au gré de l’actualité.

Où, pourquoi, comment naît une théorie du complot ? On ne le sait pas toujours. Certaines sont créées de toute pièce dans un but politique : dans les années 1980, les services secrets soviétiques avaient créé et diffusé l’idée que le virus du sida aurait été conçu comme une arme bactériologique par les États-Unis. D’autres apparaissent, de manière plus ou moins spontanée, sans que l’on puisse toujours expliquer précisément pourquoi une théorie “marche” et d’autres non.

En revanche, il est clair, depuis désormais dix ans, que les théories du complot “incubent” et se développent principalement sur les espaces de discussion en ligne. Facebook et YouTube ont joué un rôle majeur dans la diffusion de théories du complot, en privilégiant les contenus qui choquent ou suscitent des réactions - ce qui est souvent le cas de la plupart de ces théories.

Des illuminatis à QAnon, les mêmes archétypes

Les grandes crises facilitent l’apparition de théories du complot - les attentats du 11 septembre 2001 ou commis au cours l’année 2015 en France ont donné naissance à des dizaines d’entre elles. Et la pandémie de Covid-19 a entraîné l’apparition de multiples théories, des plus simples (« Le virus a été diffusé volontairement par Pékin ») aux plus bizarres (« La pandémie est une couverture pour installer des antennes 5G qui contrôleront nos pensées »). La quasi-totalité d’entre elles ont cependant un point commun : l’idée qu’un petit groupe tire les ficelles dans l’ombre, pour son propre intérêt et contre celui du plus grand nombre.

Même les théories les plus récentes puisent presque toujours dans de grands archétypes que l’on retrouve à différents moments de l’histoire. Le mouvement américain QAnon, créateur de théories du complot ultra contemporaines, qui fait de Donald Trump un héros luttant en secret contre une conspiration de pédophiles satanistes, emprunte des éléments à des théories antisémites anglaises remontant au XIIe siècle, et au mythe des illuminatis. Certaines s’inspirent aussi d’éléments bien réels : des siècles d’assassinats politiques nourrissent l’idée que JFK a pu être tué par la CIA ou le FBI, et l’existence des programmes de surveillance d’Internet de la NSA (National Security Agency) américaine a facilité le développement de théories du complot sur la 5G.

Le caractère “universel” de ces théories fait qu’elles ne disparaissent jamais complètement. La théorie du “pizzagate”, par exemple, postulait en 2016 que des enfants étaient violés et torturés par des hommes politiques américains dans la cave d’une pizzeria de Washington (un des adeptes de cette théorie y a ouvert le feu). Elle se diffusait encore largement en 2020 sur le réseau social TikTok, auprès d’un public jeune qui la découvrait pour la première fois.

Assouvir nos besoins psychologiques

Ces théories sont séduisantes parce qu’elles répondent parfaitement à nos besoins psychologiques et exploitent nos biais cognitifs : elles offrent une explication simple à une réalité complexe ou douloureuse ; elles flattent notre ego en nous faisant croire que nous sommes plus malins que les “moutons” qui croient à la “version officielle” ; leurs adeptes forment des communautés soudées, motivées, au sein desquelles il est facile de se sentir intégré.

Le complotisme transcende ainsi de nombreuses barrières et grilles d’analyse classiques. On trouve des partisans de théories du complot dans toutes les classes sociales, partout dans le monde. Il ne semble pas y avoir de corrélation entre la propension à croire à des théories du complot et le niveau d’étude, ni avec les capacités intellectuelles mesurées par test. Mais un lien existe entre croyance et convictions politiques : l’individu attiré par les extrêmes est plus aisément séduit par ce type de théories 1.

Damien Leloup, journaliste au Monde

1. Voir le Baromètre de la confiance politique, Sciences Po Cevipof [en ligne] et l’Enquête complotisme 2019 : le conspirationnisme et l’extrême droite par la Fondation Jean Jaurès et Conspiracy Watch [en ligne].

Ressources

  • Conspiracy Watch, le site de l’Observatoire du conspirationnisme et des théories du complot [en ligne]
  • Reichstadt, Rudy. L’opium des imbéciles, Grasset, 2019
  • « Antidote », chronique hebdomadaire de France Inter sur l’actualité des théories du complot [en ligne]

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