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Que ce soit en presse écrite, sur Internet ou sur les réseaux sociaux, la photographie est un élément essentiel de la composition d’un article d’information car elle cumule deux fonctions : accrocher le lecteur et l’informer. Un certain nombre de questions, notamment éthiques, se pose dans les rédactions quant à l'utilisation ou non d'images générées par l'IA.

Pour répondre à ce besoin de photographies, les rédactions ont plusieurs possibilités :

  • intégrer des photojournalistes dans leurs effectifs;
  • acheter des photos d’actualité à des agences de presse (AFP, AP, Reuters, etc.) ou à des photojournalistes indépendants;
  • s’abonner à des banques d’images (Getty Images, Shutterstock, etc.);
  • générer des images à l’aide d’outils d’intelligence artificielle (Midjourney, DALL-E, etc.).

L’utilisation de photographies représente ainsi un coût important pour les rédactions. L’intelligence artificielle générative permet, grâce à des instructions écrites par un utilisateur en langage naturel appelées « prompts »1, de créer des images conformes à ses attentes. Plusieurs rédactions utilisent ou envisagent d’utiliser ces outils de génération d’images pour illustrer certains articles, de manière transparente ou non vis-à-vis du public. Cette pratique émergente répond à deux objectifs : diminuer les coûts de production de l’information et publier des images illustrant parfaitement un article et évitant d’utiliser des images génériques, issues de banques d’images ou utilisées de nombreuses fois.

Le journaliste Vincent Coquaz illustre les débats en cours dans les rédactions et les différents positionnements adoptés par celles-ci dans un article du quotidien Libération. Par exemple, Adrien Guilloteau, chef du service Photo du journal Le Figaro, déclare utiliser des images générées par IA uniquement lorsque c’est le sujet de l’article. À l’inverse, Pierre Maturana, directeur de la rédaction du site Sofoot, justifie l’utilisation de Midjourney pour illustrer certains sujets, en alternative à « une photo lambda de ballon sur une pelouse ».

Cette (r)évolution pose plusieurs questions éthiques

Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) a pris position sur ce sujet en indiquant que cette pratique est à proscrire car elle est, de façon intrinsèque, incompatible avec le respect de la déontologie journalistique : « Elle risque de tromper le public ou de le laisser dans l’ambiguïté, en lui soumettant une information contraire à la réalité des faits. » Cet usage (ou non) de l’IA générative pour illustrer des articles remet ainsi sur le devant de la scène des questions fondamentales concernant l’usage des images dans les médias d’information.
Du côté des rédactions : quelle est la fonction de la photographie dans l’information (descriptive, certifiante, illustrative, émotive, incitative) ? Quelle relation a-t-elle avec le texte (ancrage, relais) ? Quel est le statut d’une image générée par l’ia ? Quel sera l’avenir du métier de photojournaliste ? Du côté du public : est-ce que la photographie publiée est une représentation du réel ? A-t-elle été prise par un photographe ? Comment repérer une photographie générée par une IA ? Comment conserver le lien de confiance avec les professionnels de l’information ?

Conseils méthodologiques : comment vérifier la provenance d’une photographie ?

Le 13 avril dernier, sur Twitter, le photographe Bernard Hadet de l’agence Reuters a publié une photo représentant le Conseil constitutionnel sous haute protection.Cette photo représente (au premier plan) un grand nombre de CRS postés devant les grilles du Conseil constitutionnel (au second plan). La France était alors sous tension et la décision du Conseil constitutionnel concernant le référendum d’initiative partagée sur la réforme des retraites était très attendue. Cette photo, reprise par des représentants politiques et différents médias a interpellé de nombreux internautes. Ils se sont demandé si elle n’était pas fabriquée par l’intelligence artificielle, car « trop belle », « trop symbolique » ou « trop iconique ». Comme le journaliste du Parisien Nicolas Berrod, il est possible d’utiliser un des détecteurs de génération d’IA (Hugging Face et Hive Moderation) pour vérifier si elle a été ou non créée par l’intelligence artificielle. Mais à l’heure actuelle, le résultat n’est pas probant : pour Hugging Face, il y a 82 % de probabilité que cette photographie ait été générée par un outil d’intelligence artificielle, et 0 % selon Hive Moderation. Les outils de détection sont pour l’instant peu fiables. Utiliser un moteur inversé d’images n’est pas pertinent non plus : les dates de publication sont correctes (13 et 14 avril 2023 pour le cas présent) et la photographie apparaît bien dans des articles liés au contexte social ou au questionnement sur la nature de l’image.

Dès lors, si les détecteurs d’images générées par l’IA ne sont pas fiables et si les moteurs de recherche inversée d’images ne sont pas utiles, comment savoir si la photographie est réelle ou non ? Le recours à une démarche d’évaluation de l’information implique :

  • l’analyse de l’image : quels sont les éléments visuels qui composent la photo (dénotation) ? Dans quel contexte a-t-elle été prise ? Que puis-je en déduire (interprétation) et quels sentiments m’inspirent la photo (connotation) ?
  • la recherche d’information : qui est l’auteur de la photo ? Quel est son statut ? Pour qui travaille-t-il ? Quand le cliché a-t-il été réalisé ? Où et quand a-t-il été diffusé pour la première fois ?

Dans le cas présent, il s’agit de Stéphane Mahe, photographe. Il produit des photographies couvrant l’actualité pour l’agence Reuters. L’analyse de l’image a été effectuée dans les paragraphes précédents. La source étant clairement identifiée et l’analyse de l’image étant positive, on peut certifier que la photographie est réelle.

Activités pour la classe

Proposer aux élèves d’endosser le rôle d’iconographe au sein d’une rédaction. Ils reçoivent un corpus d’images réelles ou générées par l’IA : à eux d’effectuer une sélection à l’aide de critères éthiques et informationnels présentés dans cette fiche.

Sylvain Joseph, ingénieur de formation et formateur CLEMI

1 Un prompt est un mot anglais désignant une instruction écrite en langage naturel permettant à une intelligence artificielle de générer de manière autonome, un contenu (texte, image, vidéo, traduction, etc.). L’art du prompt est une série d’instructions données à l’intelligence artificielle pour obtenir un résultat conforme aux attentes du programmateur. Exemple de prompt pour Midjourney « image abstraite, style bauhaus, 3D, phages, noir, blanc, rouge et bleu, 8K ».

Ressources complémentaires :

AUDUREAU, William. « L'improbable photo des présidents de l’om et du PSG qui n’était pas générée par l’ia ». Le Monde, 29/09/2023.
PIQUARD, Alexandre. LÆMLE, Brice. « Les médias s’essaient prudemment à l’intelligence artificielle ». Le Monde, 21/09/2023.
SALLÉ, Caroline. « IA : Les nouvelles speakerines artificielles déjà stars à la télé et en streaming ». Le Figaro, 09/10/2023.
Le dessous des images. « IA : le policier avait six doigts ». Arte. 02/05/2023.

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