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« SwissLeaks », « Panama Papers », « Football Leaks »… Derrière ces publications massives de données, souvent associées à la fraude fiscale internationale, se cache aussi une nouvelle façon de travailler pour les journalistes, réunis en consortiums dans lesquels s’agrègent des rédactions de plusieurs pays.

Fiche info, parue dans le Dossier de la SPME 2020

Si l’argent et le pouvoir n’ont pas de frontières, pourquoi le journalisme devrait-il en avoir ? C’est la question qui pousse de plus en plus de journalistes à collaborer avec des confrères étrangers, avec un objectif : associer leurs forces pour enquêter plus efficacement sur le monde moderne.

Encore rarissimes il y quelques années, ces collaborations internationales se sont accélérées depuis le début du siècle à mesure que se multipliaient les « leaks », ces fuites massives de données informatiques, tellement vastes qu’un média seul peinerait à exploiter. Souvent informels, ces groupes de médias se sont progressivement structurés, d’abord sous l’impulsion du consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Pour enquêter sur les dessous des paradis fiscaux et des multinationales, cette organisation à but non lucratif basée à Washington a fédéré des centaines de journalistes issus de médias basés aux quatre coins du monde. Avec, à la clé, des révélations retentissantes : « OffshoreLeaks » (2013), puis « SwissLeaks » (2014), les « Panama Papers » (2016), les « Paradise Papers » (2017) et les « Implant Files » (2018). Fait notable, ces projets poussent des médias habituellement concurrents – comme Le Monde, Cash Investigation et Radio France – à collaborer, en laissant de côté la course au scoop.

Partenariats informels

La démarche a fait des émules, avec la création en 2015 du réseau EIC (« European Investigative Collaborations »). Formé autour de Mediapart, du Spiegel et du Soir, l’EIC a enquêté sur le marché des armes, les sociétés offshore à Malte et la Cour pénale internationale, avant de faire trembler le monde du ballon rond avec les « Football Leaks » – qui ont dévoilé les coulisses peu ragoûtantes du foot business, entre fraude fiscale, contournement des règles financières et corruption des instances dirigeantes.

Si l’ICIJ et l’EIC occupent aujourd’hui le haut du pavé de l’investigation collaborative internationale, des partenariats plus informels entre médias continuent de se nouer autour de projets ponctuels ou de zones géographiques restreintes. À chaque fois, le scénario est le même : un groupe de journalistes décide d’ouvrir son travail d’enquête à un panel de collègues étrangers de confiance. Ils travaillent main dans la main pendant plusieurs mois, le plus souvent à distance, en partageant leurs informations et leurs découvertes, avant de finalement publier le résultat de leurs recherches le même jour.

Rédactions virtuelles

Les avantages de ces « rédactions virtuelles » sont multiples. Suivre la trace d’un réseau criminel international ou d’une entreprise multinationale tentaculaire est beaucoup plus commode pour un consortium de journalistes qui conjuguent leurs langues, leurs connaissances et leurs sources que pour un enquêteur seul, limité par sa langue natale et ses frontières. Explorer des milliers de documents fuités est également beaucoup plus facile lorsqu’on dispose d’un groupe de 100 personnes, que pour une poignée de journalistes issus d’un média aux moyens limités.

Par leur force collective, ces consortiums peuvent aussi servir de bouclier à des journalistes indépendants travaillant dans des zones à risque, mis sous pression par les autorités. L’ICIJ fournit par exemple à ses membres des outils informatiques pour travailler de façon sécurisée, à l’abri de la surveillance numérique, et de l’aide juridique en cas de besoin. Le collectif « Forbidden Stories » s’est quant à lui constitué avec l’objectif de poursuivre sur le terrain les enquêtes des journalistes assassinés ou empêchés de faire leur travail, publiant des enquêtes sur Malte, le Guatemala ou le Mexique.

Ressources

Maxime Vaudano, journaliste au Monde

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