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Face au discours politique, les journalistes spécialisés interprètent les intentions et les stratégies des personnalités politiques en fonction du contexte et de leur fine connaissance des appareils. Une façon de se distancer de la communication étudiée des responsables et candidats.

Ils « décryptent », font apparaître les « stratégies », et débusquent les « ballons d’essai ». Le travail des journalistes politiques a évolué en même temps que le personnel politique s’est professionnalisé. Et avec eux, le métier de communicant, de plus en plus présent aux côtés des personnalités politiques. Comment se saisir du récit politique tout en marquant une nécessaire distance avec les idées prônées ? 

Dans son article intitulé « Communication politique et distanciation journalistique », le politologue Nicolas Kaciaf parle d’une « routinisation d’un journalisme de décryptage ». Une posture que confirme Dominique Albertini, journaliste politique à Libération en charge des partis de droite.  « Il y a une idée selon laquelle la politique serait cryptique et codée, que ce serait un domaine où les interventions seraient toujours à double-détente. C’est en partie vrai. Quand je lis une interview politique, je vois toujours une forme de sous-texte. » 

Un phénomène inhérent aux systèmes politique et médiatique, selon lui. « Le politique peut rarement expliquer complètement le fond de sa pensée, il s’exprime dans un réseau de contraintes, doit faire attention à dire ce qu’il veut dire et contrarier le moins de personnes possibles. » « C’est un théâtre avec des personnages, des héros, des anti-héros, des egos, des inimitiés, gens qui se détestent depuis plusieurs décennies. Comme journaliste, tu passes ta vie à essayer de comprendre, à analyser, s’il y a un message à untel ou untel », ajoute Sarah Belouezzane, journaliste politique au Monde.

Communication et convictions

Se pose alors la question de la sincérité du discours politique : devoir sans arrêt le traduire, en fonction du contexte et des secrets d’alcôves, ne pourrait-il pas faire douter de la place des convictions dans ces prises de parole ? « C’est vrai qu’on peut se demander ce qui relève de la déclaration opportune et ce qui relève de l’ossature du candidat, note Sarah Belouezzane. Évidemment, ils ont quand même un cadre idéologique, des convictions, et certains sujets qui leur sont plus personnels. Mais il y a des choses sur lesquelles ils pensent qu’on les attend ».

« Il faut faire attention à ne pas tomber dans l’excès inverse, qui serait de ne plus voir la politique que comme une stratégie de communication, met en garde Frédéric Says, éditorialiste sur France Culture. Le public est dans l’attente des deux : des journalistes qui ne sont pas dupes sur la stratégie et la rhétorique, mais sans partir du principe que tout n’est que com et rien n’a d’effet. C’est un équilibre subtil à trouver ». 

Du bon usage du « off »

Pour sortir de cette parole souvent lissée, le décryptage passe avant tout par une mise en contexte des déclarations ; un contexte explicité par différentes sources, sur le terrain ou les réseaux sociaux, mais surtout dans l’entourage même des politiques. L’un des outils privilégiés de ce « décryptage », c’est le « off ». Une discussion non officielle et anonymisée, qui donne aux journalistes des éléments de contexte, généralement attribuée à un « proche », « fin connaisseur du dossier », « à un membre du cercle restreint ». Pour Dominique Albertini, le « off » est « un mal nécessaire ». « La parole officielle est complètement tenue par la com, le off c’est un espace de liberté. Le contrat, c’est : je vous sécurise, mais vous dites votre vérité. » Frédéric Says, de son côté, se dit « très partagé » : « on ne peut pas donner tous les noms, mais il y a aussi parfois des phrases relativement bateau qui sont anonymisées, alors que son auteur ne prendrait aucun risque ».

Sophie Gindensperger, journaliste
et formatrice CLEMI

Ressources

  • KACIAF, Nicolas. Les pages « Politique ». Histoire
    du journalisme politique dans la presse française (1945-2000). Presses universitaires de Rennes, collection « Res Publica », 2013.
  • SAITTA, Eugénie.
    « Les journalistes politiques et leurs sources.
    D’une rhétorique
    de l’expertise critique
    à une rhétorique
    du “cynisme” ».  Dans Mots. Les langages du politique 2008/2 (n° 87), pages 113
    à 128 [en ligne].

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